Syrie : La crise du pain aggravée par les actions gouvernementales

L’incapacité du gouvernement syrien à aborder de manière équitable et adéquate la crise du pain provoquée par une décennie de conflit armé contraint des millions de Syriens à souffrir de la faim, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

L’aggravation de la crise économique, ainsi que la destruction de nombreuses infrastructures, principalement par les forces syriennes et des forces alliés au cours d’une décennie de conflit, ont conduit à de graves pénuries de blé. En outre, la distribution discriminatoire de pain autorisée par le gouvernement, la corruption liée à ce système, ainsi les restrictions sur la quantité de pain subventionné que les habitants peuvent acheter, contribuent au problème de la faim qui touche de nombreuses personnes.

« Les responsables syriens affirment que veiller à ce que tous les habitant aient assez de pain est une priorité, mais leurs actions démontrent plutôt le contraire », a déclaré Sara Kayyali, chercheuse sur la Syrie à Human Rights Watch. « Des millions de personnes souffrent de la faim en Syrie, en grande partie à cause de l’incapacité du gouvernement à résoudre la crise du pain qu’il a en partie lui-même créée. »

Human Rights Watch a examiné des déclarations officielles émises par le gouvernement, des publications sur les réseaux sociaux et des rapports d’organisations d’aide humanitaire. En outre, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 10 résidents de zones contrôlées contrôlées par le gouvernement syrien, dont 2 propriétaires de boulangeries et 4 travailleurs humanitaires. Toutes ces personnes – qui habitent à Damas et aux alentours, à Alep, ainsi que dans les gouvernorats de Hama, Homs et Sweida – ont décrit des difficultés accrues pour se procurer du pain et d’autres aliments de base.

Le conflit armé a entraîné une baisse de la production nationale de blé. Or, parallèlement, des millions de personnes ont chuté dans la pauvreté, devenant donc encore plus dépendantes du pain dans leur régime alimentaire.

De nombreuses boulangeries ont été détruites, et des politiques discriminatoires exacerbent la pénurie de blé

Selon une étude publiée par l’Université Humboldt en 2020, la Syrie a perdu 943 000 hectares de terres cultivées entre 2010 et 2018, en raison des opérations militaires, du déplacement d’agriculteurs et d’ouvriers agricoles, et d’une mauvaise gestion des ressources par l’État. Certaines pertes de terres étaient dues à des frappes aériennes illégales menées par l’alliance militaire syro-russe, qui se sont intensifiées en 2015 et dans certaines semblent avoir constitué des crimes de guerre.

Le 24 février, les médias ont rapporté que la Turquie livrerait plusieurs centaines de tonnes de blé à la Syrie, apparemment dans le cadre d’un accord négocié par la Russie. Le 26 février, des organes de presse affiliés au gouvernement ont indiqué que du blé était importé de Russie, dans le cadre d’un accord pour un total d’un million de tonnes de blé, bien aucune source officielle n’a confirmé ces informations.

En février, selon le Programme alimentaire mondial (PAM), au moins 12,4 millions de Syriens se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire, soit la majorité de la population estimée à environ 16 millions de personnes. Il s’agit d’une hausse alarmante de 3,1 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire, en un an. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le PAM estiment que 46 % des familles syriennes ont réduit leurs rations alimentaires quotidiennes, et que 38 % des adultes ont réduit leur consommation pour s’assurer que leurs enfants aient suffisamment à manger.

Les résidents ont également décrit une manière discriminatoire de distribuer le pain. Dans certaines régions, il y a des queues séparées  pour le personnel militaire et les forces de sécurité (haute priorité), les résidents (priorité moyenne) et les personnes déplacées (basse priorité). En outre, selon l’Institut Newsline, les services de sécurité syriens interfèrent parfois dans la distribution du pain et du blé, par exemple en confisquant du pain afin de le revendre illégalement sur le marché noir.

De nombreuses boulangeries ont été détruites ou rendues inopérantes lors du conflit en Syrie, mais leur nombre exact est difficile à déterminer.

En vertu du droit international des droits humains, chaque personne devrait bénéficier du droit à une alimentation suffisante.

Le gouvernement syrien a l’obligation de réviser les limites de la quantité de pain subventionné que les familles peuvent obtenir afin de ne pas avoir faim et de fournir un soutien supplémentaire aux familles qui n’ont pas les moyens d’acheter des aliments de base, a déclaré Human Rights Watch.

Les pays concernés, y compris les pays donateurs, l’ONU et les agences humanitaires devraient demander que ceux qui sont responsables de la destruction des boulangeries et des terres agricoles viables soient tenus pour responsables, et que la distribution d’aide alimentaire soit effectuée de manière non discriminatoire.

World Opinions – HRW

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