Haïti/France : Un journaliste poursuivi pour avoir dénoncé des abus sexuels au sein du football haïtien

Un journaliste d’investigation français qui a révélé des accusations d’abus sexuels à l’encontre d’Yves Jean-Bart, l’ancien président de la Fédération haïtienne de football, fait face à une poursuite pour diffamation de la part de Jean-Bart, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Le journaliste, Romain Molina, a documenté des abus contre des joueuses mineures dans la Fédération haïtienne de football sous la direction de Jean-Bart, et il a soutenu des victimes en Haïti et dans le monde. Les articles du journaliste sont parus dans le quotidien britannique The Guardian et dans des vidéos YouTube. Une audience dans cette affaire est prévue le 27 mars 2023, à Paris.

« L’objectif de Romain Molina était de défendre les faibles contre les puissants », a déclaré Minky Worden, directrice de la division des Initiatives mondiales à Human Rights Watch. « Il est profondément troublant de voir les dirigeants de la Fédération haïtienne de football utiliser les tribunaux français pour tenter d’étouffer la liberté de la presse et de faire taire les survivantes et les journalistes. »

En mai 2020, Yves Jean-Bart, alors encore président de la Fédération haïtienne de football, a porté plainte auprès d’un tribunal de Paris, accusant Molina de diffamation.

En novembre 2020, la FIFA, l’instance dirigeante du football international, a banni Jean-Bart à vie à la suite de sa propre enquête sur les abus sexuels, qualifiant l’exploitation sexuelle sous son règne au sein de la fédération d’« inexcusable, une honte ».

En février 2023, le Tribunal arbitral du sport a annulé à tort la suspension à vie ainsi que d’autres sanctions imposées à Jean-Bart par la FIFA. Le 20 mars, la FIFA a annoncé qu’elle ferait appel de la décision, en raison de « vices de procédure et de fond très graves ».

Human Rights Watch a interrogé de manière indépendante plus d’une douzaine de survivantes et de témoins de sexe masculin et féminin au sein de la fédération haïtienne, et a reçu des témoignages de victimes selon lesquels le président de la fédération avait harcelé sexuellement et contraint de jeunes joueuses à avoir des relations sexuelles avec lui.

Le journaliste du Guardian, Romain Molina, ainsi que le syndicat des joueurs de football FIFPro et Human Rights Watch, ont procuré à la FIFA un grand nombre de preuves de violations systémiques des droits humains dans le football haïtien, notamment la confiscation des passeports de certaines joueuses – un indicateur de la traite des êtres humains – des violations des droits du travail, le conditionnement des enfants athlètes à des fins sexuelles, ainsi que des menaces de mort à l’encontre de témoins et de survivantes.

Suite aux reportages du Guardian, Yves Jean-Bart a critiqué Romain Molina ainsi que d’autres journalistes et enquêteurs des droits humains pour avoir dénoncé ses crimes. Des journalistes et des témoins n’ont pas seulement fait l’objet de menaces de poursuites. Human Rights Watch a documenté qu’en août 2020, des hommes armés ont recherché un témoin d’abus sur son lieu de travail, dont le domicile a ensuite été criblé de balles et saccagé. Human Rights Watch a depuis documenté de multiples menaces à l’encontre de témoins, de victimes d’abus et de membres de leur famille.

Plusieurs joueurs ont fait part à Human Rights Watch d’abus commis sous la direction de Jean-Bart, notamment du fait qu’il a favorisé un climat d’exploitation sexuelle pour les jeunes joueuses. Au moins trois autres vice-présidents de la fédération haïtienne ont été suspendus ou bannis à vie pour abus sexuels. Une ancienne joueuse nationale a déclaré à Human Rights Watch : « Ma chance de jouer à l’étranger dépendait du fait que je couche ou non avec le président. »

« Un grand nombre de victimes d’abus sexuels en Haïti étaient d’anciens enfants athlètes et membres de l’équipe nationale de jeunes qui vivront avec un traumatisme pour le reste de leur vie », a déclaré Minky Worden. « La FIFA a la responsabilité et le devoir de protéger les athlètes et les enfants dans toutes ses opérations, sur la base de sa politique en matière de droits humains et de son programme FIFA Guardians, qui prévoit pour les dirigeants du football l’obligation de veiller à la protection des enfants. »

Depuis plus de trois décennies, Human Rights Watch rend compte des violations des droits humains en Haïti, notamment la violence systémique basée sur le genre,. En 2011, Human Rights Watch a publié un rapport, « Personne ne se souvient de nous : Le droits des femmes et des filles à la santé et à la sécurité n’est pas protégé dans l’Haïti de l’après-séisme », qui documente la violence sexuelle et les difficultés d’accès aux soins après un viol. Human Rights Watch plaide depuis longtemps pour la protection des victimes de violences sexuelles et sexistes, et a œuvré  directement avec des organisations haïtiennes de défense des droits des femmes ainsi que des droits humains, en vue de mettre fin aux abus et de garantir la justice pour les survivantes.

Human Rights Watch a travaillé avec un partenaire haïtien de longue date, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), qui a publié son propre rapport sur des allégations d’abus sexuels au sein de la fédération de football d’Haïti. Le rapport du RNDDH sur les abus sexuels dans la fédération haïtienne a constaté qu’entre autres abus, Yves Jean-Bart a eu un enfant avec une athlète féminine.

Human Rights Watch a également mené un entretien avec une victime de l’ancien ministre des Sports d’Haïti, Evans Lescouflair, qui a été arrêté par Interpol en juillet 2022, alors qu’il cherchait à échapper à la justice haïtienne. Il est accusé d’avoir violé à plusieurs reprises une étudiante de 11 ans. Lescouflair était également un haut responsable du football haïtien et il a été président d’un club de football de jeunes.

« L’impunité pour les abus sexuels est depuis longtemps une norme inacceptable dans la fédération haïtienne de football », a conclu Minky Worden. « Maintenant, Jean-Bart essaie d’associer le système judiciaire français à ses efforts pernicieux pour étouffer la liberté de la presse et faire taire les victimes d’abus sexuels. »

World Opinions – Human Rights Watch

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