La conversion tardive de Macron à l’écologie

TRIBUNE. Selon l’économiste spécialisé Christian de Perthuis, les annonces d’Emmanuel Macron à Marseille arrivent un peu tard. Mais elles ont le mérite d’exister.

Pendant la campagne de la présidentielle, le Giec a publié les rapports des groupes de travail sur les impacts du réchauffement climatique et les actions à engager pour l’atténuer. Deux alertes sur l’insuffisance de l’action climatique dans le monde. Cela a peu impacté les débats du premier tour de notre élection présidentielle.

Le discours marseillais d’Emmanuel Macron opère une étrange volte-face en remettant en première ligne « la planification écologique », un terme emprunté au programme de Jean-Luc Mélenchon. L’objectif affiché est de multiplier par deux le rythme de baisse des émissions du pays.

Priorité numéro un : viser le bon objectif !

Sur la nécessité d’accélérer la baisse des émissions, il n’y a pas de débat. Le bilan du quinquennat est bien maigre en la matière. Les ONG environnementales l’avaient annoncé en déposant leur recours contre l’État dans le cadre de « l’Affaire du siècle » ; le Conseil d’État l’a confirmé en juillet 2021 : la France n’a pas atteint en début de quinquennat ses objectifs de réduction d’émission fixés par la « stratégie nationale bas-carbone » (SNBC). La chute des émissions de 2020 résultant du Covid ne doit rien à la politique climatique et 2021 nous a remis sur la tendance antérieure. Où nous conduit cette tendance ?

Depuis 2005, la France est, au-delà des fluctuations de court terme, sur une tendance de baisse linéaire des émissions de gaz à effet de serre, de 8,4 Mt par an. Le quinquennat d’Emmanuel Macron ne l’a ni accélérée ni ralentie. À rythme inchangé, cela nous conduit vers des émissions de l’ordre de 330 Mt en 2030. C’est 40 % en dessous du niveau de 1990, mais bien loin de l’objectif européen de – 55 % adopté en décembre 2020.

Notre politique climatique, basée sur la SNBC, est restée calée sur l’objectif de 40 %. Le mandat de la Convention citoyenne sur le climat était basé sur ce chiffre, que l’on retrouve dans l’énoncé des motifs de la grande loi climat du quinquennat qu’elle était censée inspirer. Les analyses du Haut Conseil pour le climat, autre instance climatique créée durant le quinquennat, se concentrent sur les objectifs de réduction de – 40 %, aucune de ses publications n’ayant abordé la question de la réévaluation des objectifs pour viser – 55 %.

La première tâche à mener dans le cadre de la future planification écologique est donc de mettre notre objectif national pour 2030 en accord avec la cible européenne de – 55 %. Ce travail aurait dû être réalisé durant le quinquennat qui s’achève. Il ne l’a pas été. Si l’électrochoc de l’élection présidentielle conduit à le faire, c’est une excellente chose. L’essentiel consistera ensuite à mettre en place les mesures pour atteindre le nouvel objectif.

Quelle planification écologique ?

Le discours de Marseille annonce une planification conduite depuis le sommet de l’exécutif, avec deux ministres placés sous l’autorité du Premier ministre : l’un chargé de la planification énergétique ; l’autre, de la planification écologique des territoires.

Une telle organisation est inédite à notre connaissance. En ce qui concerne la planification territoriale, la grande inconnue du prochain quinquennat sera la capacité de l’exécutif à trouver les bonnes synergies avec les collectivités territoriales. Sous l’angle économique, cela implique de réfléchir aux instruments de la fiscalité locale et aux règles de transferts budgétaires entre l’État et ces collectivités. La bonne façon d’intégrer le climat consiste à systématiquement calculer la valeur des émissions de gaz à effet de serre engendrées ou réduites par les décisions publiques.

Concernant la planification énergétique, les principales décisions devront être prises d’ici à juillet 2023, date butoir pour la publication de la prochaine loi d’orientation sur le climat. Le programme sur le site d’Emmanuel Macron détaille quelques orientations qui posent trois « questions qui fâchent ».

La première concerne le nucléaire. Le programme du candidat indique « poursuivre la construction de six premières centrales nucléaires nouvelle génération ». L’électeur doit-il comprendre que la construction de ces six EPR a déjà commencé ? Cette ambiguïté doit être levée au plus vite et un réel débat doit être ouvert. Si des moyens importants sont alloués à la construction de ces six nouveaux EPR, que restera-t-il comme ressources pour entretenir et faire fonctionner dans de bonnes conditions de sécurité le parc nucléaire existant ? Et combien sera alloué pour rattraper le retard cumulé depuis dix ans dans l’énergie renouvelable qui fait de notre pays la lanterne rouge de l’Union européenne ?

Seconde question qui fâche : la tarification du carbone. Le programme plébiscite la taxe carbone européenne à l’importation. C’est une bonne chose. Mais si l’instrument est efficace, pourquoi ne l’appliquer qu’à la frontière en renonçant à son usage domestique ? Quel sens y a-t-il à évoquer une planification énergétique en « oubliant » le rôle incontournable du prix du carbone pour orienter les investissements vers tout ce qui permet de réduire notre dépendance aux énergies fossiles ?

La question des modes de vie doit enfin être abordée frontalement, notamment en matière de mobilité des hommes et des marchandises. Lors de la remise des propositions de la Convention citoyenne sur le climat, le président Macron avait d’emblée rejeté la proposition de ramener la limitation de vitesse à 110 km/h sur les autoroutes. C’était l’une des mesures permettant le plus sûrement de réduire les émissions. Pour viser les – 55 %, il est urgent que la planification énergétique intègre le volet demande et sobriété énergétique. Le candidat Macron nous propose-t-il désormais de le faire ?

Marcher sur deux jambes

Pour accélérer la transition bas-carbone et cheminer vers la neutralité, il faut également compter sur la transition agroécologique. L’agriculture compte pour un cinquième des émissions de gaz à effet de serre du pays. La transition agroécologique sera la révolution agricole de demain conduisant, non à produire moins, mais à produire mieux. Par ailleurs, elle doit permettre aux agriculteurs de contribuer au stockage du carbone dans les plantes et les sols.

Cette deuxième jambe de la stratégie bas-carbone est la grande oubliée du discours de Marseille, comme du programme du candidat. Il y a urgence à intégrer ce deuxième volet dans la future planification écologique. Sans cette deuxième jambe, on ne voit pas comment les – 55 % seront atteignables en 2030 et encore moins comment le pays pourrait prétendre à la neutralité climat d’ici à 2050.

*Christian de Perthuis est professeur d’économie à l’université de Paris-Dauphine et fondateur de la chaire « économie du climat ».

Par Christian de Perthuis Le Point

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