Analyse. Pourquoi l’Afrique ne peut pas se contenter d’énergies renouvelables

TOURNANT. Par souci d’équilibre entre l’équité économique et la sauvegarde climatique de la terre, les pays industrialisés doivent accompagner l’Afrique dans un mix acceptable.

Le dernier rapport de la Fondation Mo Ibrahim publié en ce mois de septembre est riche en informations qui permettent de modifier la perspective d’approche de la question des investissements et sur les énergies fossiles et sur les énergies renouvelables.

Saviez-vous qu’en moyenne 40,5 % de l’électricité dans les pays africains provient de sources renouvelables ? C’est plus élevé que les moyennes mondiales (34,1 %) et européennes (39,1 %) ! Et pourtant, l’Afrique est aujourd’hui confrontée au défi colossal de devoir se développer, voire s’industrialiser dans un contexte de crise climatique mondiale aiguë dont elle est très peu responsable. Le continent africain ne produit que 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon l’ONU.

Parallèlement, environ 600 millions de personnes à travers l’Afrique n’ont pas accès à l’électricité et 930 millions ne disposent pas de combustibles propres de cuisson si l’on en croit toujours le rapport de la Fondation Mo Ibrahim intitulé « Remédier au déficit énergétique de l’Afrique : Changement climatique, énergies renouvelables et gaz ». Ce déficit pèse très lourd car, d’après les estimations, les pénuries d’électricité coûtent au continent environ 2 à 4 % du produit intérieur brut (PIB) par an. La Fondation souligne aussi le fait que la hausse de la demande énergétique est inéluctable sur un continent dont la population devrait presque doubler d’ici à 2050 et tripler d’ici 2100.

Le changement de pied des pays industrialisés

La question de l’énergie est revenue au cœur de la géopolitique mondiale depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février dernier.

« La crise ukrainienne a déclenché un retour en arrière européen, mais le gaz africain doit d’abord servir les Africains », disent avec force les experts de la fondation Mo Ibrahim. En effet, depuis le début de la guerre en Ukraine, les pays européens ont montré un intérêt renouvelé pour la question de la sécurité énergétique avec à la clef un changement de pied quant à l’utilisation des combustibles fossiles. L’Allemagne a par exemple « commencé à rallumer des centrales à charbon dont la fermeture était initialement prévue, tandis que la Norvège, le Royaume-Uni et les États-Unis ont tous commencé à augmenter la production de pétrole et de gaz. L’UE a également récemment décidé que le gaz pouvait être classé comme un investissement vert sous certaines conditions ».

Lors du sommet du G7 en juin, les pays participants ont officiellement ouvert la porte à davantage de financement du gaz. « En vue d’accélérer la sortie de notre dépendance vis-à-vis de l’énergie russe, nous soulignons le rôle important accru que les livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) peuvent jouer et reconnaissons que l’investissement dans ce secteur est nécessaire en réponse à la crise actuelle. Dans ces circonstances exceptionnelles, des investissements soutenus par l’État dans le secteur du gaz peuvent être appropriés comme réponse temporaire […] », ont-ils dit.

Une carte à jouer pour le gaz produit en Afrique, mais…

Et c’est vers l’Afrique que de nombreux pays européens se tournent désormais. L’Allemagne a entamé des discussions avec le Sénégal sur le financement offshore de gisements de gaz. Afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie, l’Italie a conclu des accords gaziers avec l’Algérie, l’Angola, l’Égypte et la République du Congo. « Bien que les investissements annoncés soient les bienvenus, le fait qu’ils aient été motivés par l’inquiétude de l’Europe pour sa propre sécurité énergétique plutôt que par une plus grande appréciation de la situation énergétique unique de l’Afrique est une source de préoccupation », souligne Ben Chandler, chercheur principal pour la Fondation Mo Ibrahim.

… des inquiétudes demeurent

Le regain d’intérêt des investisseurs pour le gaz africain est perçu comme une aubaine pour le continent, mais seulement « s’il est intégré à des plans globaux, au lieu de simplement devenir une source alternative de carburant pour les foyers et industries européens ». Les investissements doivent également soutenir les plans de développement des infrastructures qui fournissent de l’énergie aux marchés africains.

L’un des projets les plus importants ces dernières années est celui dénommé « Gas to Power » du Sénégal, dont l’objectif est de définir un cadre pour optimiser l’ensemble de la chaîne de valeur du gaz naturel, soit de l’approvisionnement jusqu’à la distribution d’électricité aux consommateurs finaux. « La transition énergétique en Afrique doit donc reposer sur la mobilisation des vastes ressources renouvelables du continent, ainsi que celles du gaz naturel qui, soit dit en passant, est le combustible fossile le moins polluant, et ce afin de faciliter l’accès généralisé des populations à l’électricité et l’atteinte des objectifs de développement du continent  », insistent les auteurs du rapport.

L’accord de Glasgow, une épée de Damoclès sur les pays africains

Ces derniers mois, de nombreuses voix s’élèvent, notamment parmi les dirigeants et responsables africains, pour que l’Afrique puisse continuer à bénéficier des financements de l’exploitation des énergies fossiles. En effet, l’engagement annoncé pendant la dernière conférence sur le climat, la COP26 de Glasgow, par une vingtaine d’États, dont les États-Unis et la France, de mettre un terme d’ici la fin 2022 au financement à l’étranger de projets d’énergies fossiles sans techniques de capture du carbone a créé un vent de panique.

« Au moment où plusieurs pays africains s’apprêtent à exploiter leurs importantes ressources gazières, l’arrêt des financements de la filière gazière, sous prétexte que le gaz est une énergie fossile, sans tenir compte du fait qu’il est aussi et surtout une énergie propre, porterait un coup fatal à nos économies en quête d’émergence », a chargé le président sénégalais Macky Sall lors du Forum de coopération sino-africaine (Focac) organisé en novembre 2021 au Sénégal. « Bloquer les financements de la filière gazière, c’est ajouter une grande injustice économique à l’injustice climatique que l’Afrique subit plus que tous les autres continents », avait-il insisté. Il faut dire que l’accord final arraché à Glasgow a explicitement mis en cause, et c’est une première, les énergies fossiles comme principaux responsables du réchauffement climatique appelant à « la sortie des subventions inefficaces » à ces énergies.

Le Sénégal, qui place beaucoup d’espoir dans l’exploitation future des champs de gaz et de pétrole découverts dans l’Atlantique ces dernières années, prévoit de produire ses premiers barils fin 2023 ou en 2024 dans un contexte où l’Afrique représenterait 41 % des nouvelles découvertes de gaz dans le monde pour la période allant de 2011 à 2018. Quant au Mozambique, il est maintenant connu pour avoir 100 billions de pieds cubes de réserves de gaz naturel, soit près de deux fois les réserves de la Norvège, qui est le 8e producteur mondial de gaz naturel. Les pays africains producteurs de gaz et de pétrole, ainsi que ceux où de récentes découvertes de ces énergies fossiles suscitent des espoirs de développement, n’entendent donc pas pour l’instant y renoncer en dépit des recommandations de la dernière conférence climat de Glasgow.

Le réalisme responsable doit prévaloir…

La Fondation Mo Ibrahim abonde dans cette direction. Elle affirme que l’Afrique ne peut pas se permettre de tourner entièrement le dos aux combustibles fossiles en l’état actuel. Car les énergies renouvelables ne peuvent à elles seules fournir l’approvisionnement en électricité fiable et à faible coût dont le continent a cruellement besoin pour s’industrialiser et fournir des services publics fiables tels que la santé et l’éducation.

L’autre réalité à prendre en compte est que les ressources renouvelables varient considérablement d’un pays à un autre. Ainsi l’Éthiopie, dotée de vastes ressources hydroélectriques et géothermiques, a un potentiel beaucoup plus grand qui peut lui permettre d’utiliser les technologies vertes à court terme, contrairement à un pays comme le Nigeria fortement dépendant du pétrole et du gaz.

Autre donnée importante : l’intermittence. Les jours de pluie, les panneaux solaires ne fonctionnent pas à pleine capacité et en même temps ils ne produisent aucune énergie la nuit. Les jours de temps calme, l’énergie éolienne peut être réduite à une petite fraction de sa capacité. Et les exemples ne manquent pas d’insuffisances des énergies renouvelables. Autant dire qu’à l’heure où le continent est appelé à s’industrialiser, les combustibles fossiles sont encore nécessaires pour les industries très énergivores comme les aciéries ou les usines de ciment.

Quant au gaz naturel, il n’est nullement synonyme de catastrophe climatique pour l’Afrique et le monde, expliquent en détail les auteurs du rapport.

Bien qu’il abrite 17 % de la population mondiale, le continent ne consomme que 5,9 % des énergies produites dans le monde. D’après l’Agence internationale de l’énergie (IEA), la consommation électrique moyenne par habitant en Afrique n’est que d’environ 600 kWh par an contre une moyenne mondiale de 3 200 kWh, 6 100 kWh pour l’Union européenne et 4 600 kWh pour la Chine. « Si l’Afrique subsaharienne (moins l’Afrique du Sud) devait tripler sa consommation d’électricité en utilisant entièrement le gaz, cela n’ajouterait que 0,6 % aux émissions mondiales de carbone », poursuivent-ils.

… pour également appuyer les investissements africains dans le renouvelable

D’après la Fondation Mo Ibrahim, les États africains ne restent pas pour autant les bras croisés.

Entre 2010 et 2019, les gouvernements ont plus que triplé les investissements publics dans les énergies renouvelables atteignant la somme de 47 milliards de dollars contre 13,4 milliards la décennie précédente. « Avec un accès aux marchés financiers appropriés, les énergies renouvelables pourraient représenter jusqu’à 67 % de la production d’électricité en Afrique subsaharienne d’ici 2030 », ajoute l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena).

Sur le terrain cependant, force est de constater que le potentiel du continent demeure largement inexploité. Dire que cinq des dix pays ayant le plus grand potentiel solaire à l’échelle mondiale se trouvent en Afrique… Ainsi de la Namibie (1er rang mondial), de l’Égypte (4e), du Lesotho (8e), de la Libye (9e) et du Botswana (10e). Poursuivant leur démonstration, les auteurs du rapport estiment que la mobilisation complète du potentiel éolien au Tchad, en Mauritanie, au Niger et au Mali permettrait de multiplier par plus de 30 la capacité électrique de ces quatre pays. C’est dire…

Cela dit, de grands projets dans les énergies renouvelables sont en cours de réalisation comme celui de la Banque africaine de développement baptisé « Desert to Power Initiative ». Il s’agit d’un projet solaire qui, d’ici 2030, devrait augmenter la capacité existante des onze pays de la région du Sahel de près de 40 % et offrir, pour la première fois, l’accès à l’électricité à 90 millions de personnes. Seul hic et de taille : la réalisation d’un tel potentiel nécessite des engagements climatiques de la part des pays riches, ce qui n’est pas gagné dans le contexte actuel de sauve-qui-peut.

Par Viviane ForsonLe Point Afrique

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