En troquant la stratégie du cordon sanitaire contre celle du marchepied, le principal parti conservateur a puissamment aidé les Démocrates de Suède, nés d’un parti ouvertement néonazi, dans son entreprise de dédiabolisation.
Le concept d’une Suède modèle de démocratie scandinave tempérée jusqu’à l’ennui a-t-il vécu ? L’issue des élections législatives, qui s’y sont tenues le 11 septembre, est en apparence sans appel. Certes, le scrutin a été très serré : seuls trois sièges séparent la coalition parlementaire de droite qui l’a emporté de celle de la gauche, et la solidité de la nouvelle majorité est déjà sujette à interrogations. Il n’empêche. Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, le pouvoir va être exercé par un bloc élargi à la droite radicale, incarnée par le parti des Démocrates de Suède, une formation née d’un parti ouvertement néonazi.
En l’espace de douze ans, ce parti virulemment anti-immigration a quadruplé sa représentation, passant de 5,7 % à 20,6 % des voix. Il est devenu ainsi la deuxième force politique suédoise. Loin derrière le parti social-démocrate de la première ministre sortante (30,4 %), Magdalena Andersson, qui sera donc restée moins d’un an au pouvoir, mais devant le principal parti conservateur, qui a troqué pour ces élections la stratégie du cordon sanitaire contre celle du marchepied. Cette dernière a été considérée comme la seule voie possible, selon son dirigeant, Ulf Kristersson, pour accéder au pouvoir.
Les résultats de ce calcul opportuniste interrogent donc sur sa pertinence. En parachevant l’intégration de cette droite dure dans le jeu politique suédois, les conservateurs ont puissamment aidé son chef, Jimmie Akesson, dans son entreprise de dédiabolisation. L’immigration et l’insécurité, ses thèmes de prédilection, ont ainsi dominé la campagne législative aux dépens d’autres plus fondamentaux comme la lutte contre le dérèglement climatique. Les Sociaux-Démocrates, qui ont durci leurs positions vis-à-vis des migrants bien avant ces élections, n’y sont d’ailleurs pas non plus imperméables.
Un exempe loin d’être isolé
Le bénéfice électoral que les Démocrates de Suède ont retiré du renoncement de la droite modérée les place désormais au cœur de la nouvelle coalition parlementaire, sans laquelle Ulf Kristersson ne pourra pas gouverner. Même s’ils ne participent pas à l’exécutif, ils n’hésiteront certainement pas à monnayer chèrement leur soutien, en revendiquant des postes importants au Parlement, ou bien en pesant de tout leur poids sur le contrat de gouvernement de la nouvelle équipe. Les conservateurs voulaient en faire une force d’appoint, ils en sont désormais les obligés.
L’exemple suédois de banalisation de la droite la plus radicale est loin d’être isolé, à commencer dans cette partie de l’Europe. La Finlande et le Danemark ont en effet ouvert la voie, avec à chaque fois un sévère tour de vis sur la politique migratoire, y compris de la part de gouvernements sociaux-démocrates.
En Italie, une autre coalition élargie à d’autres formations d’extrême droite, dont Fratelli d’Italia, dernier avatar du Movimento sociale italiano, d’ascendance fasciste, va tenter le 25 septembre de conquérir le pouvoir, pour le bénéfice de la dirigeante de ce dernier, Giorgia Meloni. Elle défend des positions proches des Démocrates de Suède. Les deux partis siègent d’ailleurs au sein du même groupe au Parlement européen, contrairement aux élus du Rassemblement national français.
Des différences significatives continuent de séparer ces familles de la droite populiste ou nationale conservatrice européenne, notamment sur l’OTAN et la Russie, mais leur progression constante se fait invariablement aux dépens de partis conservateurs. Loin d’être la planche de salut qu’ils imaginent, la main tendue à la droite radicale porte en elle, pour eux, une menace existentielle.
World Opinions – Le Monde