Livres. Eve Babitz, Aimee Bender : la chronique « poches » de Véronique Ovaldé

Je suis fascinée par Los Angeles. A cause de sa puissance cosmétique, de son climat enfantin (on n’a qu’à dire qu’il ferait beau tous les jours) et de son attente molle et sexy du Grand Tremblement de terre.

A cause aussi de sa photogénie (pensez à Eggleston ou Shore) et de son imagerie romanesque (Didion ou Isherwood). C’est le strapontin du monde qui va un de ces quatre sombrer au fond du Pacifique.

Dans le Pasadena des années 1960, les uniques hauts faits culturels étaient la parade des roses et les clubs d’aquarelle pour petites dames affables. Il y avait si peu de gens bizarres qu’ils se connaissaient tous. Et ils aimaient que les choses prennent un tour catégoriquement bizarre. Walter Hopps, lui, avait des manières « moitié desperado, moitié Lourdes » (comprenez la gestuelle pleine de componction d’un médecin de province), écrit Eve Babitz dans En tenue d’Eve, mais il était sans doute l’un des spécimens les plus extravagants de ce microcosme. A 21 ans, il a ouvert sa première galerie d’art.

Il adorait aller au théâtre – et, si la pièce se jouait à San Francisco, il faisait l’aller-retour en avion dans la soirée (RIP permafrost). Chic et monstrueusement intelligent, Hopps avait une voix comme « une balle de revolver en argent ». Eve Babitz (qui devint par la suite une égérie pop et bohème) a vécu quatre ans dans « l’océan de ses digressions ». Car ne vous y trompez pas.

Ce livre n’est pas la simple restitution de la partie d’échecs que jouèrent au Pasadena Art Museum une Eve Babitz de 19 ans, nue et téméraire, et un Marcel Duchamp (1887-1968) « si poli qu’il faisait mine de n’être venu que pour jouer aux échecs ». Ce livre est une déclaration d’amour à Hopps et à tous les grands excentriques qui donnent l’impression d’être des humains puissance 1 000 et qui, s’ils vous acceptent comme satellite, vous offrent un avant-goût d’absolu.

« En tenue d’Eve. Histoire d’une partie d’échecs » (I Was a Naked Pawn fort Art), d’Eve Babitz, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jakuta Alikavazovic, Points, 96 p., 5,90 € (en librairie le 4 février).

« La Singulière Tristesse du gâteau au citron » (The Particular Sadness of Lemoncake), d’Aimee Bender, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, Points, 336 p., 7,60 €.

Par Véronique Ovaldé – Le Monde

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