L’Inde s’attaque aux VPN, garants de l’anonymat sur internet

Le gouvernement indien veut limiter l’accès aux VPN, utilisés par les internautes pour rester anonymes. Selon New Delhi, ces connexions cachées freinent la lutte contre la cybercriminalité. La mesure inquiète dans un pays qui réprime de plus en plus l’expression en ligne.

Les VPN sont autorisés dans presque toutes les démocraties du monde, mais l’Inde vient de remettre en cause ce système. L’immense pays du sud de l’Asie oblige maintenant ces services à récolter les données personnelles de leurs utilisateurs, comme les e-mails, les numéros de téléphone et les adresses IP. Ces informations devront être stockées pendant cinq ans pour les mettre à disposition des autorités en cas de besoin.

Les Virtual private networks (VPN), réseaux virtuels privés en français, permettent de se connecter à Internet via un serveur externe.

Beaucoup d’utilisateurs y ont recours pour accéder au réseau d’un autre pays et contourner ainsi une censure nationale. D’autres s’en servent pour naviguer de manière anonyme et éviter que les géants des réseaux ne récoltent leurs données personnelles. Comme WhatsApp, les sociétés de VPN garantissent l’anonymat total des communications.

Des VPN utilisés par les journalistes

Rajeev Chandrasekhar, ministre délégué aux nouvelles technologies, estime que la mesure est devenue nécessaire.

« Si un incident ou un crime est rapporté, les fournisseurs d’accès ont l’obligation d’indiquer qui a utilisé ce serveur. Si votre modèle d’affaires est de fournir un accès anonyme à internet, cela ne marchera pas. Le monde réalise aujourd’hui les dommages engendrés par l’anonymat à travers les VPN », déclare-t-il dans l’émission Tout un monde.

Le monde réalise les dommages engendrés par l’anonymat à travers les VPN

Rajeev Chandrasekhar, ministre indien

Les VPN pourraient aussi gêner le gouvernement pour d’autres raisons: ils permettent aux journalistes d’enquêter de manière anonyme. Devesh Kumar, analyste de données et journaliste pour le site The Wire, a notamment révélé que le parti au pouvoir du Bharatiya Janata Party (BJP) avait créé le logiciel Tek Fog. Ce dernier manipulait les tendances des réseaux sociaux et orchestrait des campagnes de haine en ligne.

« Pendant les deux ans d’enquête sur ce sujet, j’utilisais tout le temps un VPN pour m’assurer que le gouvernement n’espionnait pas mon activité. Si ce système n’existe plus, les autorités pourront savoir ce que nous faisons et soit ils cacheront les preuves avant qu’on les révèle, soit ils nous harcèleront », alerte le journaliste.

Précédent avec Pegasus

Ces derniers mois, les autorités indiennes ont arrêté, entre autres, une jeune militante environnementale pour sédition ou un journaliste réputé, à cause de leurs activités en ligne. Par ailleurs, le réseau social Twitter vient de porter plainte contre l’Etat indien, affirmant que ce dernier lui demandait de retirer du contenu de manière abusive. Dans ce contexte, certains craignent que la fin de l’anonymat par VPN n’expose encore plus les critiques du gouvernement.

Srinivas Kodali, chercheur sur la sécurité des réseaux, est associé au mouvement indien des logiciels libres.

« Le gouvernement dit qu’il demandera juste aux VPN et services de cloud de stocker les données de connexion et qu’il n’y accédera qu’après avoir fait une requête par un juge. Sur le papier, c’est très bien. Mais la justice n’est plus indépendante en Inde. Ces dernières années, ce genre de demandes sont faites au nom de la sécurité nationale, elles sont secrètes et arbitraires. On ne peut pas les contester, car elles sont faites auprès des fournisseurs d’accès, sans informer l’utilisateur », assure le spécialiste.

Une arme supplémentaire pour espionner les Indiens

Srinivas Kodali, chercheur sur la sécurité des réseaux.

Il rappelle que les dirigeants indiens ont déjà utilisé le logiciel espion Pegasus. « Cela montre qu’ils ne respectent pas la vie privée de la population. Enlever les VPN leur offre une arme supplémentaire pour espionner les Indiens de manière ciblée. »

L’année dernière, l’enquête du consortium Forbidden stories a révélé que le gouvernement indien avait acheté le logiciel d’espionnage Pegasus en 2017. Et l’aurait utilisé contre une quarantaine d’opposants politiques, journalistes et militants des droits de l’homme. Des traces du logiciel ont depuis été trouvées sur plusieurs de leurs téléphones. Le gouvernement, quant à lui, refuse de dire s’il a acheté ce logiciel, pour des raisons de sécurité nationale.

Comme la Russie ou la Corée du Nord

L’utilisation de VPN est de plus en plus restreinte en Inde. Les plus grands fournisseurs comme NordVPN ou ExpressVPN ne demandent jamais les informations personnelles de leurs clients et ne pourront donc pas respecter les exigences de l’Etat indien. Ces entreprises ont annoncé qu’elles s’apprêtaient à fermer leurs serveurs en Inde. Pour des journalistes d’investigation comme Devesh Kumar, la disparition de ces services risque de compliquer leur travail.

« S’il devient vraiment impossible d’utiliser des VPN de manière confidentielle, j’utiliserai d’autres services comme Tor, qui stocke les informations personnelles de manière fragmentée et qui est donc plus difficile à tracer. Mais c’est aussi beaucoup plus lent: cela revient à utiliser une connexion 2G », signale-t-il.

Jusqu’à présent, seuls dix pays interdisent ou restreignent fortement l’utilisation de VPN. Parmi eux, la Chine, la Russie, la Biélorussie ou encore la Corée du Nord.

Par Sébastien Farcis/gma / RTS info

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