La santé mentale reste taboue dans l’agenda du développement humain en Afrique

Tribune. Il y a urgence à repenser l’accès aux soins de santé, en particulier de santé mentale. La pandémie du coronavirus a renforcé l’isolement de certains et exposé d’autres à des violences verbales ou corporelles. Ces traumatismes sont des indicateurs que nous ne pouvons pas négliger. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une personne sur quatre environ sera concernée au cours de sa vie par un trouble psychologique.

Le continent africain ne fait pas exception : 10 % de sa population serait aujourd’hui affectée par un trouble mental. La prévalence est plus élevée encore dans les zones de conflit : une personne sur cinq y vit avec des troubles mentaux tels que la dépression, l’anxiété, l’état de stress post-traumatique, les troubles bipolaires ou encore la schizophrénie.

Cependant, dans l’agenda du développement humain en Afrique, le sujet reste tabou : moins de 10 % de la population a accès à des soins de santé mentale. Un problème amplifié par le manque de ressources humaines adéquates. Pour rappel, la majorité des pays africains comptent un psychiatre pour 500 000 habitants, au lieu d’un psychiatre pour 5 000 personnes conformément aux recommandations de l’OMS.

Selon l’institution, la plupart des pays à revenu faible ou intermédiaire consacrent moins de 1 % de leur budget de santé au traitement des troubles mentaux. Or toute maladie non traitée à un coût pour les individus et pour l’économie. Dans un rapport de 2012 sur le fardeau économique de la maladie mentale, l’OMS a ainsi noté que ces pathologies et les troubles du comportement représentent 26 % du temps perdu au travail dans le monde, plus que tout autre type de maladie.

Société plus respectueuse et attentive

Il est à noter que la moitié des problèmes de santé mentale commence avant l’âge de 14 ans, mais la plupart des cas ne sont ni détectés ni traités. Aujourd’hui, près de 90 % des adolescents du monde vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire et plus de 90 % des suicides d’adolescents se produisent dans ces pays.

D’après les estimations de l’OMS de 2012, le taux de suicide en Afrique était proche de la moyenne mondiale : 11,4 pour 100 000 habitants. Soit tout de même une augmentation de 38 % par rapport à l’an 2000. Les facteurs de risque sont multiples : consommation nocive d’alcool, maltraitance durant l’enfance, stigmatisation à l’encontre des personnes qui cherchent de l’aide, obstacles à l’accès aux soins. La stigmatisation, le rejet, le manque d’accès aux soins et, encore trop souvent, les maltraitances physiques et psychologiques restent le lot quotidien des patients dans de nombreux pays africains.

La maladie mentale affecte non seulement les personnes et leurs familles, mais également des communautés et des économies entières. Au regard des coûts considérables qu’elle engendre, elle devrait recevoir toute l’attention et les ressources de la part non seulement des gouvernements, des citoyens africains, de sa diaspora, des organisations internationales, mais aussi de l’ensemble des décideurs du secteur privé et de la société civile.

Se soucier de santé mentale n’est pas un luxe, mais un droit humain quelle que soit notre contribution à la société. Il est temps de changer la façon dont les personnes – y compris elles-mêmes – pensent et parlent de ces sujets. La pandémie de nouveau coronavirus génère des inquiétudes multiples. Pour autant, cette crise sanitaire pourrait également être vecteur d’opportunités, notamment pour faire évoluer les mentalités. Il est temps de faire de la santé mentale un enjeu social en Afrique et d’agir concrètement pour une société plus respectueuse et attentive.

Une réponse efficace et durable exige une volonté politique, des investissements publics et privés, une coordination entre les secteurs de la santé, des finances, des services sociaux et de l’éducation. Mais aussi l’implication de la société civile et des entrepreneuses et entrepreneurs sociaux qui sensibilisent, mettent en œuvre des stratégies de promotion et de prévention dans ce domaine et organisent des activités qui contribuent à renforcer la capacité de patients à traverser un événement difficile. La santé mentale nous rassemble plus qu’elle nous divise.

Marie-Alix de Putter est consultante en stratégie française d’origine camerounaise. Elle est autrice d’Aime, ma fille, aime !, aux éditions Ampelos, coll. « Témoigner », paru en 2019.

Carl Manlan est un économiste ivoirien. Il est directeur des opérations de la Fondation Ecobank.

Marie-Alix de Putter et Carl Manlan

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