Une enquête de plusieurs médias européens, dont Le Monde, révèle qu’entre mars 2020 et septembre 2021, Frontex a pratiqué des renvois illégaux en mer Égée qu’elle a inscrit sous le terme « prévention de départ ». Un mensonge, selon l’enquête. Car les préventions de départ désignent des opérations menées par la Turquie pour intercepter les migrants avant qu’ils n’entrent dans les eaux grecques.
Des « renvois illégaux » de migrants classés comme « préventions de départ ». Voilà le pot-aux-roses découvert au terme de l’enquête menée par plusieurs médias dont Le Monde, Der Spiegel et Lighthouse Reports. Selon les enquêteurs, l’agence européenne de surveillance des frontières aurait enregistré dans leur base de données (appelée JORA) des « pushbacks » de migrants en mer Égée en les faisant passer pour des simples « préventions de départ », menées dans les eaux turques.
« Nous nous sommes concentrés sur ce que Frontex appelle les ‘préventions des départs’ », explique Lighthouse sur Twitter, au cours de cette investigation menée du 20 mars 2020 au 21 septembre 2021. Cela signifie que « lorsque des demandeurs d’asile traversant la mer Égée sur des bateaux sont repérés par la Grèce ou Frontex, la Turquie est informée et agit pour empêcher la traversée et les ramener à terre en Turquie avant qu’ils n’entrent dans les eaux de l’UE ».
Seulement voilà, d’après Le Monde, derrière ces « préventions de départ », se cachent en réalité de nombreux renvois illégaux de migrants.
Les enquêteurs-journalistes ont pu comparer les informations de la base de données de JORA (dates, type d’incidents et nombre de personnes impliquées) et les comparer avec des rapports d’associations ou encore des comptes rendus des garde-côtes turcs. Conclusion : les enquêteurs affirment ainsi que dans 22 cas au moins – ce qui représentent 957 migrants – les exilés ont été retrouvés dérivant en mer dans des canots de survie gonflables, sans moteur.
Or ces canots, de couleur orange, correspondraient à des modèles achetés par le ministère de la marine grec, via un financement de la Commission européenne. « Ce qui tendrait à prouver que les migrants ont accédé aux eaux grecques avant d’être refoulés illégalement », écrit encore Le Monde.
C’est donc bien Frontex, et non la Turquie, qui est impliqué. « La question se pose donc : ‘Ces migrants ont-ils vraiment été empêchés de pénétrer dans les eaux de l’UE ou ont-ils été repoussés après l’avoir fait ?’ », demande Lighthouse sur Twitter.
« Le nombre réel de victimes de pushbacks doit être bien plus élevé »
« Cela signifie que Frontex a été impliqué pour au moins 957 personnes repoussées vers la Turquie […] Mais le nombre de personnes enregistrées dans le fichier JORA comme ayant été empêchées de prendre la mer est supérieur à 8 000. Ainsi, le nombre réel de victimes de ‘pushbacks’ doit être bien plus élevé ».
Interrogée, Frontex se refuse, pour sa part, à tout commentaire : « Nous n’avons aucun pouvoir pour enquêter sur les agissements des autorités nationales [grecques] », a déclaré l’agence. De leur côté, les autorités grecques démentent toute action illégale.
Ce n’est pas la première fois que Frontex est sous le feu des critiques. En janvier 2021, l’office européen de lutte anti-fraude (Olaf) avait ouvert une enquête contre l’agence.
Plusieurs ONG accusent également la Grèce – et Frontex – de refoulements illégaux, ce qu’Athènes dément systématiquement. Les récits d’exilés en mer Égée ont été maintes fois documentés par les médias dont InfoMigrants.
Cet été, une Congolaise avait expliqué comment les garde-côtes grecs avaient refoulé son embarcation en mer, mettant les passagers en danger. « Ils nous ont menacé avec leur armes (…) Ils ont tourné autour de nous, ce qui a fait de grandes vagues et du courant », avait-elle rapporté.
Au mois de mai 2021, Samuel, un autre migrant d’Afrique subsaharienne, avait raconté comment son embarcation avait été refoulée vers les côtes turques. Fin 2020, Slimane, un Guinéen avait rapporté à la rédaction comment des hommes en uniforme avaient percé le canot dans lequel il se trouvait pour l’empêcher d’atteindre les îles.
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