ENTRETIEN. Présidente de l’ONG Touche pas à mon enfant, Najat Anwar réagit à l’affaire de la fillette violée dont le procès en appel a été renvoyé au 13 avril.
Le Point Afrique : En quoi cette affaire de viol dépasse-t-elle l’entendement ?
Najat Anwar : Au départ, c’était une malheureuse affaire de viol sur mineur. Les coupables étaient sous les verrous, sauf que c’est devenu une affaire hors norme vu le très jeune âge de la victime, 11 ans, la grossesse et l’enfant né. Donc, la maternité à un âge trop jeune, voire impossible, et enfin le dénouement incroyable par des verdicts ridicules dont ont bénéficié les violeurs. C’est une affaire qui émeut tout le peuple marocain, car on a l’impression que c’est la petite fille qui a été punie pour s’être fait violer par des voisins « respectables ». Cette affaire a pris une ampleur incontrôlée, car elle a remis en question le bouclier protecteur de notre justice censée protéger nos enfants des prédateurs sexuels.
Peut-on dire que vous avez là tous les ingrédients qui ont participé à la création de votre association ? Si oui, lesquels ?
C’est malheureux de le dire ainsi, mais c’est toute une panoplie mais pas tous les ingrédients. Car notre association créée en 2004 et devenue ONG en 2015, reconnue d’utilité publique, était constituée d’une poignée de parents qui voulaient d’abord combattre les deux aspects de la pédophilie qui guettent nos enfants, l’une locale, et l’autre, touristique venue d’ailleurs. Également, lutter contre le meilleur complice du pédophile qui est le tabou dans un pays africain, arabe et musulman. C’était, et c’est toujours, un dur et long combat. Et avec ce verdict, on est loin d’apercevoir le bout du tunnel.
Si on revient à la fillette violée, abusée puis mise enceinte, il faut préciser qu’il y a 15 ou 16 ans, son père aurait été menotté par la « hchouma » (la honte) et n’aurait jamais osé porter plainte. Il aurait plutôt essayé de camoufler ce drame aux dépens de l’avenir de son enfant. Le tabou a été presque vaincu par un changement des mentalités marocaines et la société civile soutenue par les médias et les réseaux sociaux qui ont largement bataillé pour arriver à ce stade où dénoncer ces crimes est devenu un devoir citoyen. Nous avons aussi pour mission de sensibiliser le public, de fournir des conseils et un soutien aux petites victimes et à leurs familles, également de plaider pour une législation plus stricte et une application effective et non « affective » de la loi pour protéger les droits de nos enfants.
Quelle législation et surtout quelle jurisprudence vous paraîtraient conformes au Maroc contemporain ?
La législation du royaume du Maroc relative à la protection de nos enfants est basée sur la Constitution de 2011 qui impose une protection spéciale de l’enfant contre tout abus, toute violence ou exploitation. De plus, notre pays est signataire de toutes les conventions internationales à ce sujet. Il dispose aussi d’articles de lois qui sanctionnent les délits de maltraitance ou de viols d’enfants comme les articles 484 et 485 qui sanctionnent lourdement les violeurs d’enfants. Pour ce qui est de la jurisprudence, la Cour suprême et d’autres tribunaux ont prononcé des jugements et décisions importantes ces dernières années en matière de protection de l’enfance. Alors comme vous pouvez le constater, nous disposons d’une batterie impressionnante de lois pour dissuader tout prédateur qui oserait toucher nos enfants.
Mais ça reste encore insuffisant, car le problème réside dans l’élément humain ou surtout dans le pouvoir discrétionnaire du juge et dans les circonstances atténuantes en faveur du violeur de l’enfant. Pour moi, les remises de peine devraient être bannies du traitement de ce genre d’affaires ignobles. Imaginez la petite de Tiflet qui a été violée à plusieurs reprises par plusieurs individus, qui a accouché d’un bébé dont la différence d’âge avec elle est de 12 ans, à votre avis quel devrait être le verdict raisonnable et juste à prononcer dans ce cas de figure ? Et quelles circonstances atténuantes pourrait-on offrir à ces monstres qui ont profité et abusé pendant des mois d’une fillette de 11 ans incapable légalement et sans défense.
Le Code pénal est en pleine réforme, quelles sont vos propositions ?
En tant qu’ONG Touche pas à mon enfant, nous aspirons à un renforcement du Code pénal et surtout des lois déjà en place et à leur conformité avec les lois et conventions internationales. Ainsi qu’à une meilleure application de ces lois par des sanctions assez dissuasives des pédocriminels sans possibilité d’atténuations des peines. Et nous appelons aussi à la mise en place de mesures pour prévenir les violences sexuelles et la maltraitance de nos enfants ainsi qu’à une plus grande sensibilisation du public qu’il convient de prévenir, protéger. Il faudrait continuer à dénoncer de tels actes odieux commis à l’endroit d’enfants innocents.
Pourquoi le viol de mineurs au Maroc n’a pas encore de punition sévère à ce jour ?
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette assertion, car il est important de souligner que le viol de mineurs est considéré au Maroc comme un crime, contrairement à d’autres pays où il n’est qu’un délit. Les auteurs de ces crimes sont passibles de sanctions pénales importantes. L’un des problèmes, c’est que malheureusement la législation ne prévoit pas de « peines planchers » assez élevées et obligatoires pour ce genre de crimes. Cela donne, comme dans le cas de la fillette de Tiflet, des sanctions parfois faibles, voire ridicules, quand le juge utilise son pouvoir d’appréciation. Ce qui est inacceptable quand il s’agit d’un enfant. Un violeur d’enfant est un monstre qui ne mérite pas d’autres sanctions que le maximum de l’article prévu au pénal, sans considération de pressions sociales ou familiales, de désistement des parents ou d’autres raisons absurdes de compassion.
En attendant le verdict de l’appel du 13 avril, quelles actions sont prévues par la société civile ?
En attendant le verdict de l’appel, nous continuerons, conjointement avec la société civile de protection de la femme et de l’enfant, à sensibiliser le grand public et à plaider pour une meilleure protection des enfants contre les violences sexuelles du type de celles qu’a subies cette pauvre fillette. Nous fournissons actuellement, avec l’aide d’experts et d’autres associations, un soutien juridique et psychologique à la petite victime et à sa famille. Pour finir, nous militons, en collaboration avec toute la société civile, les médias et réseaux sociaux, pour faire pression sur les autorités judiciaires afin d’obtenir un verdict exemplaire, dissuasif et rassurant pour la fillette.
Pour elle, le mal est déjà fait sachant qu’elle a besoin d’un suivi psychologique sérieux pour corriger ou atténuer ce drame qui va l’handicaper de longues années durant son existence. Cette petite fille ne méritait pas d’être la victime d’un tel drame. Et les loups qui ont abusé de cette petite bergère ne méritent aucune indulgence. Que Dieu la protège.
Par notre correspondant à Tanger, Anis Bounani, et Malick Diawara – Le Point