Débats. Le casse-tête de l’annulation des accords de pêche et d’agriculture entre l’Union européenne et le Maroc

La décision de la Cour de justice de l’Union européenne  (CJUE) d’annuler les accords de pêche et d’agriculture signés en 2019 entre l’UE et le Maroc crée des remous des deux côtés de la Méditerranée.

« L’affaire du Sahara marocain, considérée par tous les Marocains comme leur première cause nationale. » C’est par ces mots que le roi Mohammed VI a décrit les derniers développements du dossier du Sahara, auquel il a consacré son discours annuel d’ouverture de la session législative. Bien que traditionnellement centré sur les priorités de l’agenda politique interne, le souverain chérifien a choisi cette fois-ci de s’adresser également à ses partenaires, notamment européens, au moment où les relations entre le Maroc et l’UE sont mises à l’épreuve en raison du verdict de la justice européenne sur le dossier des accords de pêche et d’agriculture. En date du 4 octobre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a en effet estimé que « les accords commerciaux UE-Maroc de 2019 en matière de pêche et de produits agricoles » avaient été établis « sans le consentement du peuple du Sahara occidental ».

« Le Maroc ne se considère aucunement comme concerné par la décision de la CJUE », a aussitôt réagi la diplomatie marocaine. Le royaume chérifien, qui n’a pas participé aux différentes phases de cette procédure, estime que cette affaire concerne avant tout l’Union européenne et le Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Et dénonce « un parti pris politique flagrant » du tribunal luxembourgeois. Pour les autorités marocaines, l’instance européenne a fait preuve de méconnaissance des réalités géopolitiques du dossier. « Cette décision est en déphasage complet avec la réalité du dossier du Sahara marocain », a déclaré Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, devant la presse. Selon lui, le Maroc n’acceptera jamais un accord ou un texte juridique qui ne respecte pas son intégrité territoriale alors que la décision de la CJUE pourrait être juridiquement contraignante au moment où les négociations débutent autour du prochain accord de pêche, celui visé par le verdict étant expiré depuis juillet 2023, celui sur l’agriculture maintenu pour douze mois.

Soutien crucial de la France et de l’Europe

Surtout, ce jugement intervient au moment où le soutien de plusieurs pays européens à la souveraineté marocaine sur ce territoire disputé s’est accru. Dans les faits, les répercussions immédiates de cette décision restent symboliques pour Rabat. Comme l’explique un conseiller économique ayant requis l’anonymat, « le Maroc pourrait même en sortir renforcé diplomatiquement grâce au soutien accru de ses partenaires européens ». En effet, plusieurs pays européens n’ont pas tardé à exprimer leur soutien à la relation stratégique qu’ils entretiennent avec le royaume chérifien. Le ministre espagnol des Affaires étrangères a déclaré que « le partenariat stratégique avec le Maroc est fondamental et doit être préservé, quelles que soient les décisions judiciaires ». De la même manière, le Quai d’Orsay a rappelé que « la France reste attachée à un partenariat d’exception avec le Maroc », soulignant que ces relations bilatérales doivent rester solides malgré les secousses juridiques.

À l’heure où les relations économiques avec l’Union européenne semblent être directement concernées par cette décision, le soutien diplomatique de la France apparaît plus crucial que jamais. D’ailleurs, le roi Mohammed VI n’a pas manqué de saluer cet appui : « Voilà donc la République française qui soutient la souveraineté du Maroc sur l’ensemble du territoire du Sahara et qui appuie l’initiative d’autonomie dans le cadre de l’intégrité territoriale marocaine comme seule base pour le règlement de ce conflit régional artificiel. » En exprimant sa « profonde gratitude » au président Emmanuel Macron, qui se rendra prochainement au Maroc pour une visite d’État attendue depuis plusieurs années déjà, le souverain chérifien a ainsi souligné l’importance stratégique de ce soutien, non seulement parce que la France est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies mais aussi parce qu’elle connaît parfaitement les enjeux complexes de ce conflit régional.

Ce partenariat privilégié avec la France est renforcé par le soutien de plusieurs autres pays européens, dont le voisin ibérique du Maroc. « L’Espagne amie qui connaît bien les ressorts cachés de cette affaire et dont la position a une forte résonance politique et historique. Il en va de même pour la plupart des pays de l’Union européenne », a rappelé le monarque devant les élus vendredi 11 octobre.

Alors que le dossier du Sahara continue d’être le prisme à travers lequel Rabat considère son environnement international, le roi du Maroc a saisi cette occasion pour remercier « tous les pays qui traitent, économiquement et sous la forme d’investissements, avec les provinces sud du royaume comme partie intégrante du territoire national ». Si le Maroc semble pouvoir surmonter cette décision, les répercussions pour certains pays européens, notamment l’Espagne et le Portugal, pourraient être plus sévères.

Quels défis économiques pour l’Europe ?

La décision de la Cour européenne pourrait même bénéficier au Maroc, à en croire le directeur de publication de TelQuel. Pour Yassine Majdi, « le texte permettait aux bateaux européens de pêcher dans les eaux de [leurs] provinces du Sud en contrepartie de quelques dizaines de millions d’euros. Une véritable aubaine pour l’Europe, qui évite ainsi une grogne sociale de son secteur de la pêche ». Si les accords de pêche permettaient à environ 128 navires européens, majoritairement espagnols, de pêcher dans les eaux sahariennes, générant environ 52 millions d’euros par an pour le Maroc, leur annulation pourrait donc perturber l’écosystème de pêche en Espagne, notamment dans les régions d’Andalousie, des Canaries et de Galice, dont les flottes dépendent de ces accords pour maintenir leurs activités économiques. Kamal Sabri, président de la Chambre de la pêche maritime de l’Atlantique, a souligné sur Médias24 l’incompréhension des opérateurs face à ce verdict, précisant que « l’Union européenne ne reçoit plus que 20 % des exportations de sardines marocaines car le marché africain a ouvert grand ses portes à [leurs] sardines ». Cette diversification devrait permettre de réduire l’impact économique direct de l’annulation des accords de pêche et d’agriculture sur les Marocains.

Du côté agricole, les entreprises européennes installées dans le sud du Maroc, et qui bénéficient des tarifs préférentiels sur les produits agricoles, sont également concernées par la décision européenne. Cet enjeu soulève des inquiétudes tant pour les exploitants français, espagnols et portugais que pour les investisseurs européens dans la région. Au-delà des aspects économiques, le cœur du débat reste, pour Rabat, la question du Sahara occidental.

Le dossier du Sahara, une ligne rouge pour Rabat

Lors d’une conférence de presse, le ministre des Affaires étrangères a qualifié la décision de la CJUE de « non-événement », soulignant que celle-ci est « en déphasage avec la réalité » du dossier du Sahara. Et de préciser que cette décision n’aura « aucun impact » sur la dynamique internationale de soutien à la position marocaine, ajoutant qu’elle n’a suscité « aucune réaction des Nations unies ». Dans ce sillage, le roi Mohammed VI a également mis en lumière le soutien croissant de la communauté internationale à la marocanité du Sahara, un soutien qui s’élargit à des puissances influentes. « Nous avons réussi à obtenir la reconnaissance de pays influents, également membres permanents au Conseil de sécurité, comme les États-Unis d’Amérique et la France », a rappelé le monarque. Chiffres à l’appui. Pas moins de 29 pays ont ouvert des consulats dans les villes sahariennes de Laâyoune et Dakhla, traduisant un basculement diplomatique en faveur du Maroc. « Ces signes tangibles renforcent la reconnaissance internationale de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental », commente Hicham Kasraoui, membre de l’Institut marocain d’intelligence stratégique (Imis). « Le Maroc a réussi, au fil des années, à construire un consensus diplomatique autour de sa position qui, disons-le, est la seule solution réaliste, constructive et réellement tournée au service des populations locales pour résoudre ce conflit », ajoute-t-il. Grâce à des projets substantiels, comme le gazoduc Maroc-Nigeria, la région du Sahara est aujourd’hui en phase de devenir un pont stratégique entre l’Afrique et l’Europe. Les prochains mois seront cruciaux pour l’avenir de ces relations. L’Union européenne se retrouve face à un défi de taille : concilier ses obligations juridiques tout en maintenant un partenariat stratégique vital avec le Maroc. Et ce, dans un contexte où le royaume chérifien entend ne pas céder d’un iota sur la question de sa souveraineté.

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