Le biopic d’Olivier Dahan peine à donner de la chair à la femme politique au destin exemplaire.
Il serait lapidaire de réduire le réalisateur Olivier Dahan au biopic. Force est toutefois de constater qu’il se positionne comme un spécialiste avec les films qu’il a consacrés à Edith Piaf (La Môme, 2007), Grace Kelly (Grace de Monaco, 2014) et aujourd’hui Simone Veil (Simone, le voyage du siècle). On connaît les avantages et les inconvénients du genre, plus ingrat qu’il n’y paraît. Ici, son capital de notoriété préempté, son évidence spectaculaire, son affiliation populaire. Là, sa difficulté ontologique à se hisser à la hauteur de son modèle, sa propension à transformer les existences en surface ripolinée, sa pente fatale à l’image d’Epinal.
Là où il faudrait réinventer pour retrouver une sorte d’essence existentielle, le biopic, en sa forme majoritaire, fait du mimétisme sa principale règle de conduite et va conséquemment droit dans le mur de l’impossible ressemblance, du factice qui s’avoue comme tel. Selon la prestation, le public arbitre, à la hausse (Piaf-Cotillard, 5 millions d’entrées) ou à la baisse (Grace-Kidman, 200 000).
A ces qualités et ces écueils, auxquels Simone, le voyage du siècle ressortit entièrement, s’ajoute, dans le cas de Simone Veil, survivante de la Shoah, une expérience de vie dont la part tragique exacerbe, si besoin était, les défis du genre. La disparition des derniers survivants et l’entrée du génocide dans l’histoire favorisent toutefois le sentiment qu’il est désormais possible de faire entrer cet anéantissement sans nom et sans images dans le monde démocratique et rédempteur des grands récits romanesques. Le destin de Simone Veil y encourage. La transformation de la survivante en grande figure de la politique française d’après-guerre et en égérie du droit des femmes à disposer d’elles-mêmes offre ainsi à la dramaturgie filmique une trame pathétique et symboliquement exemplaire qu’il semble suffire de dérouler.
Esprit commémoratif
Ainsi va Simone, le voyage du siècle, avec ce titre grand teint qui nous pousserait à rechercher le voyagiste pour le passer par les armes. Film à double visage, à double tranchant, comme précisé plus avant. Côté face, indiscutable, l’évocation d’un destin d’une puissance peu commune ; l’hommage à une femme dont la souffrance, la dignité, la reconquête d’elle-même et le combat politique furent exemplaires ; la remise en situation historique, à travers elle, de sentiments, d’idéologies dont on croyait impossible la renaissance et qui s’emparent de nouveau de notre époque.
Par Jacques Mandelbaum – Le Monde