Exclu de l’accord entre Bruxelles et Londres, le rocher a fait l’objet d’une négociation tendue entre Madrid et Londres pour éviter un Brexit sans accord.
Soulagement pour les résidents de Gibraltar : ils entreront d’ici à six mois dans l’espace Schengen. À l’issue d’une négociation tendue entre la fière Espagne et la non moins fière Angleterre, un accord sur la libre circulation des personnes entre le Rocher, enclave britannique contestée, et la péninsule ibérique a été trouvé à quelques heures du 31 décembre, minuit. La menace d’un « no deal » aurait eu des conséquences lourdes dans la vie des quelque 15 000 travailleurs frontaliers qui passent quotidiennement par « La Verja » (le nom de la frontière).
Il a été convenu que durant la période de transition de six mois, chacune des parties s’efforcera de « fluidifier » les passages, dans l’intérêt de tous. Le texte signé jeudi n’est donc, pour l’instant, qu’un « accord préliminaire », salué « de tout cœur » par Boris Johnson qui rappelle, au passage, que « le Royaume-Uni a toujours été et restera totalement attaché à la protection des intérêts de Gibraltar et de sa souveraineté britannique ». « Nous sommes parvenus à un accord de principe avec le Royaume-Uni sur Gibraltar qui nous permettra de supprimer les barrières et d’évoluer vers une zone de prospérité partagée, a twitté de son côté, Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol. Fermeté dans les principes, progrès pour la citoyenneté. »
Iniciamos una nueva etapa. Alcanzamos un principio de acuerdo con Reino Unido sobre Gibraltar que nos permitirá eliminar barreras y avanzar hacia una zona de prosperidad compartida. Firmeza en los principios, progreso para la ciudadanía.
— Pedro Sánchez (@sanchezcastejon) December 31, 2020
Gracias a los negociadores de Exteriores. pic.twitter.com/8LQFfjLz3U
Pas de passeport pour les Espagnols
Lorsque Gibraltar rejoindra l’espace Schengen, la frontière terrestre disparaîtra. Il s’agira du seul territoire britannique membre de Schengen. Les contrôles douaniers s’effectueront donc à l’aéroport de Gibraltar qui devient une frontière extérieure de l’Union européenne. L’Espagne souhaitait assurer elle-même la fonction douanière. Une revendication inacceptable pour les Britanniques. On a coupé la poire en deux. Lors de la période de « mise en œuvre » de l’accord, qui s’étalera sur quatre années, c’est l’agence européenne Frontex qui effectuera les contrôles, mais l’Espagne sera néanmoins responsable du respect du Code Schengen. Concrètement, cela signifie que les agents de Frontex sur le terrain devront rendre des comptes aux autorités espagnoles et justifier l’octroi des visas…
Toute personne qui rejoindra Gibraltar à partir de l’Espagne n’aura pas besoin de passeport. Mais les arrivées des passagers en provenance d’un aéroport britannique devront présenter un passeport puisque le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’espace Schengen. Ça paraît tordu, mais c’est logique.
Le traité d’Utrecht de 1713, anachronique ?
L’accord, négocié depuis juin et conclu in extremis, a besoin d’être complété au cours des prochains mois. Il a été adressé à la Commission de Bruxelles qui doit l’inclure à l’accord sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE. Il avait été décidé d’extraire cette négociation pénible du paquet d’ensemble, car l’Espagne aurait mis son veto si ses revendications sur Gibraltar n’avaient pas été prises en compte. Un ennui de moins pour Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE, qui avait déjà eu pas mal de tracas avec le cas particulier de Gibraltar au moment de négocier l’accord de retrait du Royaume-Uni. Le ton était déjà monté très haut entre Londres et Madrid…
D’ailleurs, il a été précisé que l’Espagne, en dépit de cet accord, ne renonce pas sur le fond à sa revendication principale : retrouver la pleine souveraineté sur le Rocher, possession britannique depuis 1704 (trois ans avant l’union avec l’Écosse). Le traité d’Utrecht de juillet 1713 (qui met fin à la guerre de succession d’Espagne) voit la monarchie espagnole céder la propriété de Gibraltar à la Couronne de Grande-Bretagne, mais si cette dernière souhaitait revendre Gibraltar, l’Espagne posséderait alors un droit prioritaire. Le Royaume-Uni lui aussi rappelle qu’il ne renonce en aucune façon à ses droits sur « The Rock ».
La confiance testée sur quatre ans
Mais que vaut vraiment le traité d’Utrecht, conclu à une époque où les puissances européennes jouaient à la guerre comme d’autres au Monopoly ? C’est un traité marqué par son contexte historique avec l’antisémitisme et le rejet des musulmans qui sévissaient en ce temps-là. En effet, dans l’article 10, la monarchie britannique consent à la demande du roi d’Espagne et s’engage à interdire « aux juifs et aux Maures » de s’installer sous quelques motifs que ce soient à Gibraltar. Si cette clause est caduque alors pourquoi pas tout le traité ?
Vu les tensions passées entre Madrid et Londres (la frontière terrestre a été fermée entre 1969 et 1982), il n’est pas exagéré de dire que le préaccord conclu le 31 décembre 2020 entre les parties est « historique », selon le terme du chef de la diplomatie espagnole, González Laya. Dans quatre ans, les parties ouvriront une nouvelle consultation. Peut-être qu’alors la police espagnole pourra directement exercer les contrôles à l’aéroport de Gibraltar au lieu des agents de Frontex. La confiance se sera éventuellement installée d’ici là.
Avant le Brexit, Gibraltar faisait partie de l’UE avec un statut dérogatoire en matière de TVA. Après cet accord, Gibraltar bénéficiera aussi de quelques programmes européens et, paradoxalement, sera peut-être plus intégré à l’UE qu’elle ne l’était jusqu’ici.
Par Par Emmanuel Berretta – lepoint.fr