Chronique. L’endroit se nomme Mountain Pass, en Californie. Cette mine de terres rares était très active, il y a quarante ans, quand les Etats-Unis régnaient encore sur la production des dix-sept minerais devenus entre-temps vitaux pour les industries de l’automobile, des télécoms, du numérique, des énergies renouvelables ou de l’armement. Trop coûteuse et très polluante, elle a fermé en 2002.
Il était si naturel de délocaliser la production et la pollution vers la Chine, alors jugée moins menaçante. Le site a été relancé, mais il ne pèse pas lourd face à la région de Baotou (Mongolie-Intérieure), baptisée la « Silicon Valley des terres rares ».
Ce petit bout de désert californien symbolise l’imprudence des Américains. A quoi bon avoir réduit la dépendance au pétrole du Moyen-Orient si c’est pour subir un embargo sur des métaux aux extraordinaires propriétés magnétiques, catalytiques et optiques – contrôlés à 80 % par l’empire du Milieu ? Donald Trump s’en était inquiété et avait même proposé, sans rire, d’acheter le Groenland, riche de ces précieuses ressources. Plus diplomate mais aussi préoccupé, Joe Biden vient d’annoncer un « examen complet » de l’origine de quatre produits critiques : semi-conducteurs, batteries automobiles, principes pharmaceutiques actifs et terres rares, secteur où il faudra au moins dix ans pour atteindre l’autosuffisance.
Les menaces chinoises sont récurrentes depuis quinze ans. En 2019, c’était en représailles au bannissement de l’équipementier télécoms Huawei du sol américain ; il y a quelques jours, pour dissuader Washington de vendre à Taïwan des chasseurs furtifs F-35 bourrés de 417 kg de terres rares, « au nom de la sauvegarde de la sécurité de l’Etat ».
Pékin va aussi interdire l’exportation vers des pays jugés hostiles des technologies de raffinage des minerais. Une ironie de l’histoire, quand on sait que Français et Japonais lui ont fait la courte échelle technologique il y a trente ans, raconte Guillaume Piton dans La Guerre de métaux rares (Les Liens qui libèrent, 2018).
Ce conflit non armé s’est joué à bas bruit, à coups de taxes, de quotas et d’intimidations par médias interposés, en violant les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Le risque s’est accru sur des composants aussi essentiels que les aimants permanents utilisés dans les moteurs de voitures électriques, les réacteurs d’avions, les turbines d’éoliennes ou l’imagerie médicale.
Analyse Jean-Michel Bezat, journaliste au Monde