Algérie : le ramadan et l’été 2021 s’annoncent compliqués

REPORTAGE. Rationalisation de l’eau, « crise » de l’huile de table et hausse des prix : en plus de la crise sanitaire, les tracas économiques vont occuper les Algériens.

<< Je suis dépassé. Je ne m’en plains pas, j’ai beaucoup de travail. >> Youcef est un plombier affairé : enguirlandé de travers d’un lourd porte-outil, téléphone branché sur l’oreillette, il guide une camionnette dans une petite ruelle algéroise avant de décharger « le » produit en vogue cette semaine à Alger : une citerne d’eau. « Rien qu’aujourd’hui, je dois placer ou réparer quatre citernes, j’ai même remis la mienne en marche », dit-il. Depuis les annonces officielles concernant une éventuelle rationalisation de l’eau courante, les Algérois ont renoué avec la frénésie d’acquisition des citernes, le cauchemar des fréquentes coupures d’eau ayant quasiment disparu depuis le début des années 2000.

Barrages à peine remplis

Le 22 mars dernier, le patron de l’Algérienne des eaux (ADE) a déclaré à la radio publique que, si la situation des remplissages des barrages (remplis à seulement 44 %, moyenne nationale) ne s’améliore pas d’ici début à l’été, « s’imposera alors une réduction des plages horaires de distribution », voire « passer à un jour sur deux » dans les zones les plus touchées par cette crise.

Les autorités assurent que ces restrictions ne seraient appliquées qu’après le mois du ramadan (qui débute à la mi-avril), en attendant une pluviométrie meilleure. Dans l’ouest du pays, la situation est plus tendue avec un taux moyen de remplissage des barrages de 27 %. « Le changement climatique annonce un avenir compliqué », s’inquiètent des cadres des ressources en eau, et « les retards dans les projets de dessalement d’eau de mer accentuent la pression » alors que rien qu’à l’été 2020 la consommation d’eau a augmenté de 10 %.

D’autres sources expertes regrettent que les autorités aient tardé à réagir alors que la SEAAL – une société mixte algéro-française (avec Suez, en fin de contrat) pour la gestion de l’eau potable à Alger – avait alerté, depuis fin février, sur l’imminence d’une crise à cause des faibles précipitations depuis 2019. « La SEAAL aurait proposé un plan pour faire face à la situation en prenant des mesures, dont le rationnement de la distribution de l’eau potable et l’arrêt de certaines activités consommatrices en eau. Mais elle n’a pas reçu de réponse [de la part des autorités] », avait révélé le site TSA.

À Alger, plusieurs quartiers sont déjà soumis à des coupures d’eau, surtout la nuit, et les Algérois commencent à craindre un ramadan compliqué et un été catastrophique. Mais ce n’est pas l’unique casse-tête des ménages.

Fausse pénurie et vraie crise

Un autre sujet d’inquiétude résume toute la difficulté, en Algérie, d’avoir un circuit commercial sain, tant la spéculation, la bureaucratie et le manque de prospective sont rois. À Alger, on l’appelle la « vraie-fausse crise de l’huile de table ». Depuis deux semaines, cette denrée de base se fait rare dans les étals et, pour ceux qui ont la chance d’en trouver, ils doivent payer le prix fort, au point qu’une campagne a été lancée sur les réseaux sociaux pour boycotter l’huile, en parallèle d’une autre campagne ciblant les viandes blanches dont les prix explosent. « Vraie-fausse » crise, car, selon les cinq producteurs algériens, où on compte le géant Cevital du tycoon Issad Rebrab, le marché est approvisionné à plus de « 300 % » ! Alors, pourquoi une telle pénurie ?

Selon la Fédération nationale de l’agroalimentaire, les raisons de cette crise sont à chercher du côté des détaillants qui refusent la dernière directive du ministère du Commerce imposant de facturer toutes leurs transactions. « Les détaillants estiment que leur marge bénéficiaire est négligeable, ils achètent avec des factures les huiles dont le prix est plafonné par l’État. Pour échapper à ce qu’ils qualifient de “contrainte”, les détaillants se fournissent auprès de plusieurs grossistes en achetant de petites quantités au prix du détail », explique un représentant de cette fédération.

Un air de 2011…

« C’est faux, répond un commerçant algérois. Ce sont les producteurs et les grossistes qui ne nous livrent qu’en petite quantité pour créer la pression et justifier des hausses de prix. »

Cette drôle de crise fait rappeler au site TSA les émeutes de janvier 2011 qui ont suivi les augmentations brutales des prix de l’huile et du sucre. À l’époque, explique TSA, « Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre, les avait imputées à des “lobbys” qui sentaient leurs intérêts menacés par l’intention du gouvernement d’imposer et de généraliser la facturation sur toutes les transactions commerciales ». Mais les autorités ont fini par céder sur cette mesure censée combattre les circuits de l’informel.

« Dix ans après, le gouvernement n’a pas appris la leçon et le problème se pose de nouveau, même si, cette fois, les “lobbys” ne sont pas mis en cause. Faut-il donc céder définitivement et laisser le marché en proie à l’informel et au défaut de facturation ? » se demande TSA. D’où la nécessité d’une réforme globale plus profonde, et surtout courageuse, afin de briser le cercle vicieux : « Pour compenser le manque à gagner causé par l’informel, l’État met davantage de pression fiscale sur les activités légales dont beaucoup ne trouvent d’échappatoire que d’aller grossir la sphère informelle », conclut le même site.

« Les circuits de distribution dans l’agroalimentaire attirent une multitude d’intermédiaires occasionnels, encouragés par l’emballement de la demande sur les denrées alimentaires à l’occasion des fêtes ou du mois de jeûne, leur permettant de tirer des gains substantiels au détriment des consommateurs », explique à El Watan Brahim Guendouzi, professeur en économie.

À ses yeux, la régulation des activités commerciales « est problématique du fait de la présence tentaculaire du secteur informel qui concentre un capital monétaire énorme lui permettant d’agir à tout moment sur l’ensemble de la chaîne de distribution, rendant le contrôle relativement difficile par les services de l’État. Ces derniers se contentent de superviser uniquement les produits subventionnés ».

Par Adlène Meddi, à AlgerLe Point

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