Afrique : démocratie, année zéro

ANALYSE. À l’instar de la Côte d’Ivoire, le spectre des présidences à vie plane sur beaucoup de pays africains. Mais que fait donc l’Union africaine ?

Le président ivoirien Alassane Ouattara (78 ans) a finalement confirmé le 20 août dernier qu’il briguerait un troisième mandat en octobre. Quelques jours plus tard, le parti au pouvoir en Guinée a demandé au président Alpha Condé (82 ans) de se présenter pour la troisième fois.

De tels agissements montrent que l’Afrique est loin d’en avoir fini avec l’ère désastreuse des présidents à vie. Amorcée dans la foulée des indépendances, celle-ci s’est prolongée jusqu’à la fin des années 1990, avec des effets délétères sur la stabilité, la démocratie et le développement socio-économique du continent.

Au cours des vingt dernières années, l’Union africaine (UA) a mis au point des moyens relativement efficaces pour lutter contre les coups d’État anticonstitutionnels contre les gouvernements. En revanche, l’UA n’a toujours pas réussi à régler le problème des présidences impériales. Du fait de cette inaction, l’organisation se voit traitée de club privé des dirigeants en place.

Sept des dix présidents en exercice depuis le plus longtemps sur la planète sont africains. Parmi ceux-ci figurent le Camerounais Paul Biyaqui dirige le pays depuis 1982, et Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, aux commandes de la Guinée équatoriale depuis 1979.

Leurs régimes sont souvent définis par l’instabilité, l’absence de libertés civiles comme politiques, ainsi qu’un patrimonialisme et une corruption étendus.

Là où persistent les limites aux mandats

Issu des rangs de l’opposition, Alpha Condé a pris le pouvoir en 2010 après avoir remporté les premières élections pluralistes organisées en Guinée à la mort, en 2008, de Lansana Conté, lui-même arrivé à la tête du pays au moyen d’un coup d’État 24 ans auparavant.

Un gouvernement de transition, mis en place en 2010, a été suivi de l’adoption d’une nouvelle Constitution et de nouvelles élections.

Farouche adversaire de Lansana Conté, Alpha Condé s’est notamment opposé à l’amendement constitutionnel de 2003 autorisant son adversaire à briguer un troisième mandat.

Une fois aux commandes, en 2010, Condé a rapidement consolidé son pouvoir grâce à l’hégémonie de son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée, avant d’être réélu en 2015. En 2019, son gouvernement a annoncé son intention d’adopter une nouvelle Constitution visant à contourner une disposition interdisant de modifier la limite de deux mandats présidentiels.

L’opposition a critiqué cette initiative, jugeant qu’elle bafouait l’esprit de la Constitution de 2010, laquelle s’opposait aux mandats illimités. Dès le mois d’octobre, des manifestations ont eu lieu à Conakry et dans le reste du pays.

Elles ont contraint les autorités à reporter le référendum constitutionnel, qui s’est finalement tenu le 31 mars 2020 et a abouti à l’adoption de la nouvelle Constitution. Si cette dernière conserve la limite des deux mandats, elle ne dit rien de ceux déjà exercés avant son entrée en vigueur, ce qui laisse à Condé la possibilité de solliciter deux nouveaux mandats et de rester à la tête du pays jusqu’en 2032.

Malgré les restrictions dues au Covid-19, les manifestations perdurent et plusieurs personnes ont été tuées par les forces de sécurité.

Les élections sont censées se dérouler le 18 octobre. Alpha Condé n’a pas encore confirmé son investiture pour un troisième mandat et les groupes d’opposition n’ont pas encore présenté leurs candidats.

Au vu de la mainmise du président sur la commission électorale, les ressources de l’État, l’administration et les forces de sécurité, ainsi que les limites imposées aux groupes d’opposition, il est fort probable que les élections ne seront ni libres ni équitables et lui assureront la victoire. L’opposition risque de les boycotter, comme elle l’a fait pour le référendum et les élections législatives en mars.

Ce qui fonctionne et ce qui reste à faire

La législation sur la limitation des mandats a conduit les dirigeants africains à opérer quelques changements démocratiques. Parmi les exemples les plus récents figurent la République démocratique du Congo (2019), la Sierra Leone (2018) et le Liberia (2017). Dans ces trois pays, les élections, marquées par une forte compétition, ont été remportées par l’opposition.

Mais beaucoup d’autres présidents ont modifié la Constitution de leur pays pour prolonger leur mandat. On retrouve dans cette liste le Togo (2002), le Gabon (2003) et, plus récemment, la Côte d’Ivoire et la Guinée.

Les derniers abus de pouvoir prouvent qu’il reste du chemin à parcourir avant que cette pratique soit éradiquée. Un certain nombre de mesures doivent être prises d’urgence.

D’abord, combler les lacunes, notamment en veillant à ce que les Constitutions nouvellement adoptées tiennent compte des mandats déjà effectués. En Gambie, le projet de Constitution, qui non seulement fixe la limite à deux mandats, mais comptabilise aussi ceux effectués avant son adoption, fait figure de modèle pour le continent.

L’Union africaine doit, en outre, relancer ses efforts pour imposer à l’échelle du continent une limite de deux mandats présidentiels. Une disposition du projet de charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, qui prévoyait de le faire en 2007, a été abandonnée après que l’Ouganda a mené campagne contre son adoption. Le président ougandais Yoweri Museveni avait déjà supprimé cette limite dans son pays en 2005.

De même, la volonté affichée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) de mettre en place une limite à deux mandats s’est heurtée en 2015 à l’opposition de la Gambie, alors sous la dictature de Yahya Jammeh, et du Togo, dont les Constitutions ne contenaient aucune limite de mandat.

Il faut que l’Union africaine, la Cedeao et les organisations régionales redoublent leurs efforts pour instaurer cette limite des deux mandats. Ce n’est qu’au moyen d’une interdiction continentale qu’il sera possible d’empêcher les manœuvres juridiques nationales et d’enterrer le spectre des présidents à vie. Une fois cette limitation entérinée, l’Union africaine sera en mesure de sanctionner, voire d’exclure, les pays réfractaires.

Les organisations ne feront de toute manière qu’enfoncer une porte ouverte. Sur le continent, seuls cinq pays possédant un système présidentiel n’ont pas de limites du nombre de mandats : l’Érythrée, la Somalie, le Cameroun, le Soudan du Sud et Djibouti. La plupart de ceux qui l’avaient supprimée ont fait machine arrière, à l’instar de l’Ouganda, dont le Parlement a rétabli la limitation des mandats présidentiels en 2017. Toutefois, Yoweri Museveni, qui est au pouvoir depuis 34 ans, peut encore se présenter.

Le Togo a fait de même l’an dernier. Malgré tout, le président sortant, Faure Gnassingbé, à la tête du pays depuis 2005, pourra se présenter aux prochaines élections. Il pourrait rester en poste jusqu’en 2030.

Sans un effort concerté à l’échelle du continent, l’Afrique risque d’être condamnée à vivre avec le spectre des présidents à vie.

Par Adem K Abebe est maître de conférences et rédacteur en chef de ConstitutionNet, Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale, au sein de l’Université de Pretoria, en Afrique du Sud.

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