Dans près d’un tiers des pays africains, les adolescentes enceintes sont confrontées à d’importants obstacles juridiques et politiques les empêchant de poursuivre leur éducation formelle, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Pourtant, la plupart des gouvernements africains protègent actuellement en principe l’accès à l’éducation par le biais de lois, de politiques ou de mesures adoptées en faveur des élèves enceintes ou des mères adolescentes.
Un nouvel indice interactif de Human Rights Watch et une compilation complète des lois et politiques relatives à la grossesse chez les adolescentes dans les écoles de l’Union africaine (UA) détaillent les lois et politiques en place, ainsi que les lacunes, pour protéger l’accès des filles à l’éducation. Des cadres conformes aux droits humains sont des premières étapes nécessaires pour protéger l’accès des filles à l’éducation, selon Human Rights Watch. Les gouvernements devraient investir dans la mise en œuvre, le suivi et l’application des politiques au niveau de l’école. Sans de telles mesures, des dizaines de milliers d’élèves à travers l’Afrique continueront d’être exclues.
« De nombreuses filles enceintes et mères adolescentes en Afrique se voient toujours refuser leur droit fondamental à l’éducation pour des raisons qui sont déconnectées de leur propre désir de s’instruire, et de leur capacité à le faire », a déclaré Adi Radhakrishnan, titulaire de la bourse Leonard H. Sandler au sein de la division Droits des enfants à Human Rights Watch. « Les autorités ne devraient pas retirer arbitrairement l’accès de certaines filles à l’éducation, comme punition pour être tombées enceintes. »
Human Rights Watch a examiné plus de 100 lois et politiques relatives à l’éducation, aux stratégies d’équité entre les genres, et aux politiques et plans de santé sexuelle et reproductive dans l’ensemble de l’UA.
Parmi les 54 pays africains, 38 pays disposent de lois, politiques ou mesures qui protègent l’éducation des adolescentes pendant la grossesse et la maternité. Certains de ces pays ont récemment annulé des politiques négatives. En mars 2022, le Togo a abrogé une circulaire de 1978 qui interdisait aux élèves enceintes et aux mères adolescentes d’aller à l’école. En 2019, le Niger a abrogé une loi qui excluait temporairement les filles qui tombaient enceintes et expulsait définitivement les élèves mariées de l’école, et l’a remplacée par une nouvelle politique qui protège explicitement leur droit à l’éducation.
Au moins dix États membres de l’UA ne disposent d’aucune loi ou politique relative au maintien des élèves enceintes ou des mères adolescentes dans les écoles. De nombreux pays de l’UA manquent également de politiques pour prévenir et gérer les grossesses adolescentes – ou bien elles sont insuffisantes –, ce qui porte atteinte au droit des enfants aux droits sexuels et reproductifs, notamment le droit d’accéder à des soins de santé reproductive et à une éducation sexuelle complète.
Nombre d’entre eux sont des pays d’Afrique du Nord ou de la Corne de l’Afrique ayant des lois et des politiques problématiques qui font du comportement sexuel hors mariage une infraction pénale, ce qui peut interférer avec le droit des filles à l’éducation. La plupart des pays de la région manquent de politiques relatives à la gestion des grossesses chez les adolescentes et au traitement des élèves enceintes dans les écoles.
En Libye, en Mauritanie et au Maroc, les filles et les femmes qui ont des relations sexuelles hors mariage risquent de lourdes peines et des sanctions pénales. Ailleurs en Afrique du Nord, les filles et les femmes ayant des enfants nés hors mariage sont souvent perçues comme déshonorant leur famille. Les filles dans ces situations pourraient ne pas être autorisées ou en mesure de rester à l’école car elles seraient exposées à l’humiliation publique et à la stigmatisation sociale.
D’autres gouvernements africains ont adopté des mesures dans une perspective de protection de l’enfance conçues pour lutter contre les grossesses chez les adolescentes, mais ces mesures sont souvent insuffisantes pour garantir l’accès à l’éducation des filles. Au Congo (Brazzaville), les autorités ont affirmé qu’elles garantissaient la réintégration des élèves après l’accouchement, entre autres mesures, en engageant des poursuites pénales contre les hommes qui mettent enceintes des femmes et des filles de moins de 21 ans.
Les sanctions pénales pour les relations sexuelles consenties entre adultes ou entre enfants d’âge similaire violent les droits fondamentaux à la vie privée et à la non-discrimination, mais ne contribuent guère à protéger de manière positive les droits à l’éducation des élèves concernés, a constaté Human Rights Watch. Les élèves enceintes ou les mères adolescentes continuent d’être victimes de discrimination et d’exclusion en l’absence de politiques supplémentaires qui protègent explicitement l’accès à l’éducation et s’attaquent aux obstacles sociaux, financiers ou académiques à la poursuite de la scolarité formelle.
L’Union africaine, dans le cadre de sa direction de l’Éducation, de la science, de la technologie et de l’innovation, devrait œuvrer avec les gouvernements pour faire évoluer les systèmes éducatifs vers la pleine inclusion des filles dans les écoles publiques, a déclaré Human Rights Watch. Elle devrait faire pression sur les gouvernements pour qu’ils révisent les lois existantes, suppriment les politiques problématiques qui sapent les droits à l’éducation pour tous les enfants et adoptent des mesures conformes à leurs obligations en matière de droits humains – tout en s’inspirant des bonnes pratiques testées par nombre de ses membres.
L’UA devrait encourager tous ses membres à respecter, protéger et réaliser les droits des adolescentes à la santé sexuelle et reproductive. Elle devrait veiller à ce que les élèves enceintes ou parentes soient autorisées à rester à l’école aussi longtemps qu’elles le souhaitent, qu’elles soient en mesure de poursuivre leurs études sans être soumises à des processus complexes ou fastidieux de retrait et de réintégration, et qu’elles aient accès à un soutien financier et social adéquat pour terminer leurs études.
« Bien que de nombreux pays africains aient adopté des lois et des politiques relatives à l’éducation des filles, beaucoup manquent encore de cadres spécifiques permettant aux élèves enceintes et aux mères adolescentes de rester à l’école ou de poursuivre leur éducation sans obstacles discriminatoires », a conclu Adi Radhakrishnan. « L’Union africaine devrait fournir des orientations claires aux gouvernements et exhorter tous ses membres à adopter des politiques conformes aux droits humains garantissant que les élèves peuvent poursuivre leurs études pendant la grossesse et la maternité. »
World Opinions + Human Rights Watch