Tunisie. Pas de démocratie à l’horizon sans la consolidation du processus de transition

En effet, dès 2011 et jusqu’à ce jour, le paysage politique actant a été dominé par le juridisme annoncé comme étant la panacée de ce dont souffre et souffrira le pays. Seulement, cela s’est traduit plutôt par une accélération de tous les maux..

En effet, dès 2011 et jusqu’à ce jour, le paysage politique actant a été dominé par le juridisme annoncé comme étant la panacée de ce dont souffre et souffrira le pays. Seulement, cela s’est traduit plutôt par une accélération de tous les maux : Politiques, économiques, inégalités, dégradation de tous les services sociaux (éducation, transports, infrastructures) et, bouclant la boucle, un déficit budgétaire donnant lieu à des pénuries récurrentes de produits de base et de médicaments, une inflation galopante, en plus des difficultés financières d’entreprises publiques qui constituaient les fleurons du secteur public et que l’Etat s’est vu désormais obligé de subventionner. Au lieu de remédier aux défaillances du système, le pouvoir, on ne peut plus centralisé, s’est engagé dans une politique de déconstruction : nouvelle constitution, nouvelle loi électorale, révision de la composition de l’instance des élections qui perd sa qualité d’indépendance aux yeux de beaucoup, limogeage de juges…Rien ne semble arrêter ce rouleau compresseur de déconstruction de tout ce qui a été réalisé depuis 2011 en rapport avec le processus de démocratisation. Reste uniquement une certaine liberté d’expression mais des journalistes alertent sur la menace qui la guette, confirmés dans leur appréhension par la convocation du responsable d’un journal électronique devant le tribunal.

Si l’on se réfère à l’expérience des pays qui nous ont précédés dans le passage d’un régime autoritaire à un autre démocratique, il est évident que la démocratie est difficile à installer et à consolider, que le chemin de la démocratisation est truffé de retours à l’autoritarisme et le pire à des dictatures militaires impitoyables vis-à-vis de leurs opposants. «Les transitions à la démocratie ont mis l’accent sur la transition politique en la dissociant nettement de la démocratie sociale», écrivait Renée Fregosi.

La négligence du social est lourde de conséquences. D’abord elle induit une méfiance vis-à-vis de l’Etat qui n’a d’équivalent que la méfiance des adeptes de régimes autoritaires à l’égard des masses. Pour notre pays, dont la principale ressource est son capital humain, la négligence du social hypothèque son avenir. Malheureusement, ce capital est attaqué sur deux fronts : celui de la dégradation du système éducatif qui n’est plus en mesure de fournir au pays les compétences de plus en plus complexes adaptées à l’économie de la connaissance qui gouverne le monde, et celui de l’émigration des forces vives, toutes catégories sociales et compétences confondues.

Le pire qui puisse arriver aujourd’hui à notre pays, c’est lorsque la vague déferlante du désir de quitter le pays s’étend au plus grand nombre, lorsque les jeunes générations ne croient plus en leur pays et ne s’y engagent plus, lorsque les «non-engagés négatifs» transmettent leur attitude au cercle de leurs relations, lorsque le pays s’appauvrit intellectuellement, culturellement et économiquement.

Alors il faudra des dizaines d’années pour se relever à condition qu’émergent des leaders imprégnés du sens du commun et de celui de l’intérêt général. Des leaders qui soient suffisamment éclairés pour s’entourer des meilleures compétences et qui ne soient pas prisonniers d’idéologies ni de l’illusion morbide d’être l’élite dotée d’une mission divine.

Le risque de se retrouver avec un leader «messianique» et non d’un leadership polycentrique reste néanmoins une éventualité fort probable, vu cet appel à un gouvernement fort, nourri par l’échec, jusqu’à présent, du projet démocratique. Une telle éventualité porte en elle un nouvel autoritarisme, voire une dictature. Le vent de désaffection envers la démocratie qui souffle sur le pays semble l’annoncer.

En revanche, la lutte pour instituer la démocratie ne s’est pas arrêtée : levée de boucliers à chaque menace de la liberté d’expression ou des droits des femmes, existence de marges de liberté encore disponibles et une demande persistante de développement inclusif qui remonte des régions et des quartiers défavorisés. Répondre à cette demande impose inévitablement le partage des pouvoirs entre le sommet et la base locale et régionale.

Si l’on se rappelle que toutes les révolutions de l’histoire tunisienne sont parties de l’intérieur du pays depuis Ali Ben Ghedhahem jusqu’à celle de 2010/ 2011 partie de Sidi Bouzid et précédée de mouvements de révolte à Gafsa, alors on saisira que la bonne gouvernance et le développement économique passent par une réelle décentralisation de la gestion des affaires locales et régionales.

Nombreux sont les auteurs de pays émergents qui se sont intéressés aux questions de développement économique respectueux de l’environnement et des cultures, invitent à penser l’économie en considérant l’acteur social, la structure sociale et la culture.

Qu’il s’agisse de démocratie ou de développement, on a affaire à des choix et des comportements. Pour que les choix soient suivis d’actions efficaces, cela nécessite l’engagement du plus grand nombre d’acteurs sociaux appartenant au plus grand nombre d’institutions sociales et de gouvernance.

Pour que la démocratie se forge et se consolide, cela nécessite un apprentissage plus ou moins long. La décentralisation et la participation à la gouvernance de proximité des affaires publiques permettent l’accélération de cet apprentissage. La démocratie représentative au sommet reste une abstraction pour le citoyen lambda qui ne s’y reconnaît pas.

C’est pourquoi, si l’on cherche à consolider le processus de démocratisation, la démocratie libérale et représentative au sommet devra être associée à une démocratie délibérative à la base. La décentralisation ne veut pas dire cloisonnement, adversité, rejet de la différence (régionalisme, tribalisme). Elle s’appuie autant sur la dotation des pouvoirs réels aux institutions locales que sur un Etat central robuste par sa capacité de bonne gouvernance et de choix stratégiques en harmonie avec l’intérêt bien pensé de la nation.

Par Riadh Zghal

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