Tribune. Faire payer les consommateurs, pourquoi pas, mais lesquels ? L’énergie n’est pas un produit comme les autres, car elle permet d’assurer des besoins de base (chauffage, hygiène, cuisine) que l’on peut qualifier sans hésiter d’essentiels. Aussi, quand une forte augmentation des prix de l’énergie menace de faire basculer de nombreux foyers dans la précarité, le blocage des prix du gaz et de l’électricité semble une solution d’urgence évidente.
Sauf que l’énergie sert aussi à des usages nettement moins primordiaux : voyages d’agrément, voitures surdimensionnées, piscines, résidences secondaires… voire yachts de luxe ou tourisme spatial ! Or, on peut difficilement justifier le fait que le kilowatt/heure (kWh) soit subventionné à l’identique, qu’il s’agisse de chauffer l’eau d’une douche ou de chauffer l’eau d’une piscine. Et comment accepter que l’on paie collectivement pour venir au secours de pratiques énergétiques incompatibles avec nos engagements écologiques ?
C’est pourquoi il est capital de distinguer les consommations essentielles et les autres. Cette distinction peut s’appliquer via un tarif progressif, où les premiers kWh consommés sont peu chers, mais où le prix augmente ensuite par paliers (un système déjà appliqué dans quelques communes pour l’eau). Cela correspond à une formule bien connue de l’écologie politique : « gratuité de l’usage, renchérissement du mésusage ». Un tarif progressif protège ainsi les besoins essentiels, tout en en faisant peser le coût sur les gros consommateurs. Comme la consommation d’énergie est fortement corrélée aux revenus (plus on est riche, plus on consomme d’énergie), un tarif progressif est aussi un tarif socialement progressiste.
Cependant, la hausse du prix des énergies n’est qu’une partie du problème, qui ne devrait pas masquer deux crises majeures qui se dessinent devant nous : la fragilité de notre approvisionnement énergétique (les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie sont pleines de points d’interrogation, sans parler d’un possible chantage au gaz de la Russie) et la nécessité, au nom du climat, d’organiser une révolution énergétique de grande ampleur, qui passera nécessairement par de la sobriété. Chercher à corriger le problème de la hausse des prix sans tenir compte de ces deux enjeux reviendrait à se contenter de corrections cosmétiques, tout en perdant des ressources et un temps précieux..
Face au choc d’une hausse durable des prix, l’histoire montre que les Etats ont su recourir à un rationnement justement réparti, rappelle la sociologue Mathilde Szuba dans une tribune au « Monde ».