« J’ai entendu des voix sous les décombres » : en Turquie, un réfugié syrien s’accroche à l’espoir de retrouver sa sœur

La ville d’Antakya, en Turquie, a été détruite par les séismes du 6 février dernier, dont le bilan s’élève désormais à près de 40 000 morts. Mustapha, ses parents et l’une de ses sœurs ont pu sortir des décombres. Mais la deuxième sœur de ce réfugié syrien est toujours dans les ruines de son immeuble, avec son mari et ses enfants. Huit jours après le drame, Mustapha veut croire qu’ils sont toujours vivants.

Julia Dumont, envoyée spéciale à Antakya (Turquie).

C’est un tas de gravats d’environ quatre mètres de haut, hérissé de tiges métalliques qui, autrefois, soutenaient la structure en béton. On y distingue les planchers de quatre étages, désormais empilés les uns sur les autres. La pelleteuse qui déblayait les décombres a cessé son vacarme. Une équipe de secouristes s’avance, ce mardi 14 février, dans ce qu’il reste de l’immeuble effondré. Quelques heures plus tôt, des voix ont été entendues dans les ruines. Une opération de sauvetage est en cours.

Devant ce bâtiment effondré de la ville d’Antakya, en Turquie, un cordon de gendarmes est posté, empêchant tout accès à la zone de recherche. De l’autre côté de la rue, un groupe de personnes immobiles et silencieuses est entouré de policiers. La tension se lit sur leurs visages. S’il y a des survivants, ce sont peut-être certains de leurs proches.

Parmi les badauds, Mustapha retient son souffle. La veille, ce réfugié syrien de 26 ans à la barbe brune et au corps frêle a passé une partie de la nuit dans les décombres de cet immeuble où habitaient sa sœur, son mari et leurs trois enfants, âgés de 7 ans, 3 ans et 14 mois. Ces derniers n’en sont pas ressortis depuis les séismes. Mais Mustapha est certain d’avoir entendu des voix dire « saadouna », « aidez-nous » en arabe.

Des gendarmes bloquent l'accès aux décombres pendant que des secouristes cherchent des survivants et des corps dans un immeuble effondré d'Antakya, le 14 février 2023. Crédit : InfoMigrants
Des gendarmes bloquent l’accès aux décombres pendant que des secouristes cherchent des survivants et des corps dans un immeuble effondré d’Antakya, le 14 février 2023. Crédit : InfoMigrants

« Les secours ont mis quatre jours à arriver »

Ces dernières années, la famille de Mustapha avait emménagé dans des immeubles voisins les uns des autres, dans le quartier de Cumhuriyatce, dans le centre-ville, où vivent de nombreux Syriens. Celui de sa sœur aînée, au crépis rosé maculé de fissures, est resté débout. Juste à côté, celui où vivaient Mustapha et ses parents est totalement effondré. L’immeuble de sa plus jeune sœur, où ont lieu les recherches, était juste derrière.

Depuis les séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie, le 6 février, la famille vit sous une tente du Croissant rouge turc, dans un parc public. Huit jours après le drame, ils s’accrochent à l’espoir de retrouver vivants la sœur de Mustapha et sa famille. Le bilan des victimes en Turquie et en Syrie s’élève désormais à 41 000 morts. Mais les miracles sont encore possibles, et l’espoir, permis. Mercredi, deux femmes ont été sorties vivantes des décombres à Kharamanmaras.

Le premier séisme a fait trembler la terre à 4h17, se souvient Mustapha. Toute la famille était endormie. En quelques secondes, les secousses ont détruit la ville d’Antakya. « Moi j’ai réussi à sortir par la fenêtre de la cuisine, mais ma mère était coincée dans sa chambre. Je l’ai tirée pour l’aider à sortir », raconte le Syrien devant les ruines de son immeuble. Dans ce qu’il reste du bâtiment, une bouteille de jus d’orange est intacte sur le sol. Une horloge posée sur une chaise a perdu ses aiguilles.

Dans la province de Hatay, dont Antakya est la capitale, un bâtiment sur deux a été détruit par les séismes, selon les autorités turques. Crédit : InfoMigrants
Dans la province de Hatay, dont Antakya est la capitale, un bâtiment sur deux a été détruit par les séismes, selon les autorités turques. Crédit : InfoMigrants

Après le drame, Mustapha, son père et son beau-frère ont aidé des voisins à sortir de leurs maisons. Pendant des jours, ils se sont battus seuls et à mains nues pour tenter de sauver un maximum de personnes. « Les secours ont mis quatre jours à arriver », affirme le jeune homme, amer.

Une dispute « pour un truc bête »

« Dès le lundi [6 février], j’ai été voir si ma sœur et sa famille avaient pu sortir du bâtiment mais je ne les ai pas trouvés. » Depuis une semaine, les secouristes ont pris le relai et concentrent les recherches au niveau de l’escalier d’accès du bâtiment. « Ils ont été bloqués en essayant de sortir », essaie d’imaginer Mustapha.

Le jeune Syrien raconte avec tendresse qu’il était très complice de sa sœur. Il était aussi ami de longue date avec le frère de son mari. En visite cette nuit-là dans la famille, ce dernier a été coincé avec eux sous l’immeuble. Mustapha aurait pu, lui aussi, se retrouver sous les décombres.

Mustapha, devant la tente dans laquelle il dort avec sa famille depuis que les séismes ont détruit son logement le 6 février 2023. Crédit : InfoMigrants
Mustapha, devant la tente dans laquelle il dort avec sa famille depuis que les séismes ont détruit son logement le 6 février 2023. Crédit : InfoMigrants

Dimanche 5 février, sa sœur l’avait invité à venir dîner et passer la nuit chez elle. Mais le frère et la sœur, pour une fois, s’étaient disputés quelques heures plus tôt « pour un truc bête ». Mustapha avait fait sa tête de mule et avait décliné l’invitation, sûr de se rabibocher en un rien de temps avec sa sœur le lendemain.

Cruel hasard : ce soir-là, la fiancée de Mustapha, étudiante en médecine à Istanbul, était en visite chez ses parents. Ils habitaient dans le même immeuble que celui de la sœur du jeune Syrien. La jeune femme est morte dans l’effondrement du bâtiment. Mustapha glisse cette information sans y apporter plus de détails. Pour lui, l’heure n’est pas encore au deuil.

Hésitations sur l’avenir

Encore sidéré par le drame qui le touche, Mustapha ne sait pas ce qu’il fera dans les semaines à venir. Il faudra quitter Antakya, c’est certain. La ville n’est plus qu’un champ de ruines. Selon les autorités turques, la moitié des immeubles de la province de Hatay, dont Antakya est la capitale, ont été soit détruits, soit gravement endommagés.

Dans la ville, la plupart des immeubles encore debout seront bientôt détruits. « Nous allons rapidement démolir ce qui doit l’être et construire des logements sûrs », a promis, mercredi sur Twitter, le ministre de l’Environnement et de l’Urbanisation, Murat Kurum.

Mustapha a travaillé quelque temps comme couturier à Istanbul à son arrivée en Turquie, en 2012. Il a pensé à y retourner mais, selon lui, « on n’accepte plus les Syriens là-bas ». Le jeune homme a aussi envisagé de tenter sa chance en Europe. Il a pris contact avec un passeur qui lui a demandé 4 000 euros par personne pour aller jusqu’en Autriche. Mustapha ne veut pas partir sans sa famille au complet. Pour eux tous, le montant s’élèverait à 40 000 euros. La famille a fait une croix sur cette solution. « On n’a même pas 50 euros, alors 40 000… », souffle sa mère, assise devant leur tente blanche.

Mustapha s’est aussi posé la question de retourner en Syrie. Originaire d’Alep, il a quitté son pays natal avec sa famille il y a onze ans lorsque leur maison a été détruite par les frappes aériennes du régime de Bachar al-Assad. Sa mère refuse catégoriquement cette option. « Ça serait quitter la mort pour une autre mort », dit-elle.

Mustapha a la douloureuse impression que l’histoire se répète. Après les bombes sur Alep, la violence de la terre. « Dans notre tête, on retourne dix ans en arrière. Ce sont les mêmes scènes de destruction. »

Jeudi 16 février, la soeur de Mustapha et sa famille ont finalement été retrouvés, sans vie.

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