France.. Enseigner la langue arabe, oui

C’est notre époque qui souffre d’un manque de curiosité pour la langue arabe en général. C’est un moment creux, dû probablement à l’islam détourné.

Interrogé dernièrement par une radio française (RTL) sur l’enseignement de la langue arabe en France, j’ai dit d’emblée qu’il est plus que nécessaire d’enseigner cette langue dans les écoles et lycées français. Pourquoi? J’ai répondu ceci: «l’enseignement de la langue arabe est une bonne idée. Apprendre, c’est toujours bien, apprendre l’arabe, c’est encore mieux. Cette langue fait partie de la France, de l’Histoire de la France et de l’Histoire du Maghreb, qui est attaché à la France depuis longtemps».

J’ai ajouté: «la langue arabe n’incite pas à aller tuer des innocents; c’est une langue de culture et de modernité, l’enseigner est une manière d’ouvrir l’esprit des enfants sur le monde, de montrer que le monde arabe ne se résume pas aux terroristes qui viennent tuer des innocents dans notre pays».

Cet entretien a eu lieu juste après le discours d’Emmanuel Macron sur ce qu’il a appelé «le séparatisme islamiste».

Mon ami Gabriel Andrieu publie sur sa page Facebook un rappel très intéressant:

«A propos des débats sur l’enseignement de l’arabe et l’intérêt porté sur cette langue comme celle du turc, il faut rappeler que François 1er fonde le Collège Royal qui deviendra le Collège de France qui rassemble les meilleurs spécialistes pour enseigner les matières qui échappent aux universités classiques. Dès le début, un grand philologue, Guillaume Postel, y développe l’étude des langues orientales dont l’arabe, le turc, et l’hébreu. Il fera la première traduction des premières sourates du Coran. Depuis ce temps il y a eu une présence permanente de cours du plus haut niveau sur la langue et la civilisation arabe et musulmane. A la fin du XIXe et au XXe siècle les spécialistes les plus éminents se sont succédés trouvant un écho dans le monde intellectuel du Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Le nom de Massignon vient naturellement à l’esprit».

On peut aussi citer les noms de Jacques Berque (qui a fait sa thèse de doctorat sur le village berbère d’Imintanout), Maxime Rodinson, Vincent Monteil, Henry Corbin (spécialiste de la pensée chiite), André Miquel (traducteur, avec Jamal Eddine Bencheikh, des «Mille et une nuits», dans la Pléiade), et, plus récent, Gilles Kepel.

C’est notre époque qui souffre d’un manque de curiosité pour la langue arabe en général. C’est un moment creux, dû probablement à l’islam détourné.

La lutte contre l’islamisme radical est devenue une priorité en France. Le président de la République l’a montré du doigt comme étant l’ennemi. En même temps, il a pris les précautions d’usage pour rappeler qu’il ne faut pas faire l’amalgame entre «islam» et «islamisme».

Mais l’amalgame a déjà été fait, il est bien installé dans l’esprit d’une majorité de Français.

Difficile de le retirer des mentalités. C’est pour cela que l’islam n’a pas une bonne image dans ce pays. Et le fait d’inciter l’Education nationale à enseigner la langue arabe dans les écoles françaises apparaît comme une réparation de cet état de fait.

L’enseignement est nécessaire, encore faut-il préparer et former les enseignants. Le même problème s’est posé pour l’existence des imams envoyés par le Maroc, l’Algérie et la Turquie.

Le fait que la France soit un Etat laïc, aucun centime des deniers de cet Etat ne doit être consacré à la religion, à toutes les religions.

Comment résoudre ce problème? Si des pays étrangers envoient leurs imams, et par conséquent les payent, la France n’a aucun moyen de savoir ce que ces religieux venus d’ailleurs enseignent aux élèves. Or, le principe est d’enseigner, et non d’endoctriner. Jusqu’à récemment, des imams ont proféré des stupidités dans des écoles, des horreurs qui ont scandalisé tout le monde.

Voici ce que contient une vidéo datant de mai 2014, où Rachid Abou Houdeyfa (un nom qui sonne l’appel au djihad!), se disant «imam» de Brest, étale devant des enfants des ignominies et de l’ignorance puante: pour lui, «la musique est la créature du diable». «Allah n’aime pas la musique parce que c’est ce que le diable aime», lance-t-il devant les élèves de l’école qu’il a ouverte en 2013. «Ceux qui chantent, le prophète a dit qu’ils seront engloutis sous la terre. Ils seront transformés en singes ou en porcs. Qui aime encore la musique?», demande-t-il aux enfants.

La vidéo avait fait à l’époque le tour de la toile à travers le monde. C’est consternant. Raison de plus pour enseigner l’arabe, la culture et la civilisation arabes. Plus que jamais, l’effort devrait être porté sur la riposte par l’intelligence et le savoir. En même temps, la lutte contre ces ignorants dangereux devrait être menée sans faiblesse.

Le discours de Macron a été applaudi par l’ensemble de la droite et une partie de la gauche, ou de ce qu’il en reste.

Il faudra beaucoup de temps et pas mal de travail de rectification de la part de ceux qui maîtrisent la pensée et l’histoire arabe et musulmane pour que l’image de l’islam et des musulmans soit rétablie dans sa vérité. Les intellectuels des pays musulmans ont leur part dans ce travail fondamental. Il faut qu’on leur donne la possibilité de parler, de s’adresser au grand public via des médias, à des heures d’écoute importantes.

Oui, l’enseignement de la langue arabe est une nécessité absolue, car une langue c’est aussi une culture, une civilisation, un humanisme. 

 Tahar Ben Jelloun

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