Céréales de la mer Noire : la Russie assure que les pays africains ne seront pas lésés

L’accord permettant l’exportation de céréales ukrainiennes par la mer Noire a expiré lundi soir, faute d’entente avec la Russie. Moscou, qui dénonce des entraves à ses exportations, affirme que les livraisons ne vont pas aux « pays dans le besoin, notamment sur le continent africain ». Une manière de faire monter les enchères tout en marquant des points à l’approche du sommet Russie-Afrique, à Saint-Pétersbourg.

Conclu en juillet 2022 et renouvelé depuis à trois reprises, l’accord céréalier permettant l’exportation de céréales ukrainiennes par la mer Noire a expiré, lundi 17 juillet, faute d’accord avec Moscou, qui dénonce des entraves au commerce de ses produits agricoles.

Malgré de profondes divergences entre ses parties prenantes et une mise en œuvre parfois chaotique, il avait jusqu’ici été maintenu au nom de la défense des pays émergents.

En un an, près de 33 millions de tonnes de céréales ont ainsi été expédiées depuis les ports ukrainiens, essentiellement du maïs et du blé, contribuant à écarter les risques de pénurie.

L’interruption de l’accord est susceptible de déclencher une hausse des prix et une crise alimentaire mondiale dénoncent l’ONU, les États-Unis ou bien encore l’UE, accusant Vladimir Poutine de chantage. Le maître du Kremlin affirme pour sa part que la Russie est lésée et qu’aucune de ses demandes n’a été entendue. 

Guerre de communication 

Depuis l’annonce de l’expiration de ce pacte, les accusations fusent de toute part. Le ministère russe des Affaires étrangères a appelé les soutiens de l’Ukraine à « remplir leurs obligations » en retirant « effectivement les engrais et les produits alimentaires russes des sanctions ».

Les dirigeants occidentaux dénoncent quant à eux une manipulation soulignant le fait que ni les denrées agricoles russes, ni les engrais, ne font l’objet de mesures punitives.

Autre sujet de conflit, la destination des céréales ukrainiennes. Suite à un entretien téléphonique avec son homologue sud-africain Cyril Ramaphosa, l’un de ses principaux partenaires en Afrique, Vladimir Poutine a affirmé par communiqué que « le principal objectif de l’accord, la livraison de céréales aux pays dans le besoin, notamment sur le continent africain », n’était « pas réalisé ».

L’ONU affirme pour sa part que 57 % des exportations ont été acheminées dans les pays en développement, et que cette initiative a permis la livraison de 725 000 tonnes de blé pour aider les personnes dans le besoin en Afghanistan, en Éthiopie, au Kenya, en Somalie, au Soudan et au Yémen. 

Assouplissement des sanctions 

Si elle a affirmé qu’il était « de facto terminé », la Russie s’est dit prête à revenir au sein de l’accord « dès que la partie concernant la Russie sera satisfaite » a souligné le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

« Les deux parties n’arrivent pas à s’entendre sur les paramètres de ce pacte » explique Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe. « Pour la Russie il ne se résume pas à la sanctuarisation des ports ukrainiens et au droit d’exporter des céréales. Elle considère qu’il doit être inclusif, c’est-à-dire s’accompagner d’un assouplissement des sanctions pour faciliter la logistique, les échanges financiers et l’obtention d’assurances en lien avec le transport maritime russe à l’international. Car s’il est vrai, comme le disent les occidentaux, que la cargaison n’est pas sous sanctions, tout l’écosystème russe lui est bien affecté ».

Ces revendications ne sont pas nouvelles. En mai déjà, la Russie avait accepté de prolonger l’accord mais pour une durée seulement de deux mois, y joignant une série de demandes visant à faciliter son commerce extérieur. Parmi celles-ci figurait la reconnexion de la principale banque agricole russe Rosselkhozbank au système de paiement international SWIFT.

Un compromis a été proposé à la Russie par le biais d’une filiale de la banque russe, a affirmé lundi l’ambassadrice américaine à l’ONU Linda Thomas-Greenfield, déplorant que celui-ci ait été « ignoré » par Moscou.

Pour Anna Creti, économiste spécialiste des matières premières, le retrait de l’accord est une manière pour la Russie d’appuyer sur l’un des derniers leviers qui lui reste face à l’Occident. « L’Europe a mis en place des mesures draconiennes pour réduire sa dépendance au pétrole et au gaz russe. Moscou a perdu de son emprise et le domaine agricole est désormais l’un de ses seuls domaines du commerce extérieur sur lequel elle peut espérer obtenir des contreparties ».

Arme diplomatique

Faute de voir ses revendications acceptées, la Russie a claqué la porte d’un accord qu’elle juge bien trop favorable à l’Ukraine. « La Russie ne dépend pas de ce corridor maritime contrairement à l’Ukraine pour qui il est crucial » rappelle Igor Delanoë.

Alors que la production et les exportations de céréales ukrainiennes ont fortement baissé depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, l’industrie céréalière russe a quant à elle enregistré une insolente progression, malgré les sanctions occidentales. Ses exportations de grain ont atteint en 2023 un nouveau record, évalué entre 50 et 60 millions de tonnes, depuis ses ports de la mer Noire qui continuent de fonctionner à plein régime. Selon un rapport de l’agence agricole du gouvernement américain celles-ci ont notamment enregistré une nette progression cette année en Afrique.

« Le secteur céréalier constitue un dilemme pour le gouvernement russe » analyse Igor Delanoë. « Du point de vue intérieur, ce n’est pas un marché très profitable car il monopolise des terres, de la main d’œuvre alors que les prix de vente sont bas. Par contre sur le plan international c’est un levier de puissance et d’influence vis-à-vis de l’Occident, mais également des pays africains ».

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S’il n’apparaît pas comme une surprise au vu des griefs précédemment évoqué, le retrait russe de l’accord céréalier a de quoi inquiéter sur le Continent alors même que certains pays comme la Somalie, le Kenya, ou bien l’Ethiopie sont confrontés à un épisode de sécheresse record provoquant des risques de famine.

Cette annonce est d’autant plus sensible qu’elle intervient alors que doit se tenir les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg, la seconde édition du sommet Russie-Afrique. La sécurité alimentaire figure parmi les grands thèmes de ce Forum censé cimenter les partenariats entre Moscou et le continent.

Pour Anna Creti, la sortie de la présidence russe, à quelques jours du sommet, affirmant que les céréales ukrainiennes ne sont pas envoyées sur le continent africain, n’est pas le fruit du hasard. « Il est drôle de voir la Russie faire la comptabilité qui l’arrange des exportations européennes alors qu’elle-même ne communique plus sur ses exportations. Il s’agit bien sûr d’un appel du pied aux pays africains avant la rencontre », analyse-t-elle. 

Mardi, Dmitri Peskov a assuré que Moscou se tenait prêt à exporter ses céréales gratuitement aux pays africains qui en ont le plus besoin, précisant que cette proposition serait discutée lors du sommet.

« La sortie de l’accord n’est pas sans risque pour Poutine, elle pourrait jeter une ombre sur la rencontre avec les dirigeants africains » juge pour sa part Igor Delanoë. « Mais le sommet offre la possibilité aux russes de faire de la pédagogie et de jouer sur le narratif habituel du néocolonialisme et de l’accaparement des richesses par l’Occident. C’est un risque pris par la Russie en se disant qu’elle peut l’assumer. Le message adressé à l’Afrique est clair : nous nous retirons de l’accord mais nous vous soutenons ». 

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