Soudan : un an après le putsch, la rue garde espoir

REPORTAGE. Des milliers de militants prodémocratie ont à nouveau réclamé le départ de la junte. Une mobilisation qui devrait peser dans les négociations entre civils et militaires.

« L’erreur de Burhane. » C’est en ces termes que Duaa Awad décrit le coup d’État déclenché par le général Abdel Fattah al-Burhan le 25 octobre 2021. En cette journée marquant le premier anniversaire du putsch, cette employée dans une agence de voyages défile dans les rues de Khartoum, aux côtés de milliers de manifestants. Comme il y a un an, la connexion Internet a été coupée – cette fois, seulement 8 heures et non 24 jours.

En s’emparant du pouvoir, le chef de l’armée avait promis de rectifier le cours de la transition démocratique amorcée en 2019. Accablé par le gel de plusieurs milliards d’euros d’aide internationale et incapable de former un gouvernement, il a depuis dû se résoudre à négocier avec les civils prodémocratie. Mais les révolutionnaires rencontrés ce 25 octobre se fient plutôt à la poursuite de la mobilisation pour déloger la junte.

La révolution française en exemple

« Si nous arrêtons de descendre dans les rues, il ne se passera rien, reprend Duaa Awad. L’actuel gouvernement et les partis politiques n’en ont rien à faire de nous. Ils s’intéressent uniquement à leurs sièges et à leurs intérêts », poursuit-elle, en nouant un drapeau aux couleurs nationales sur son dos.

Les quelques dizaines de protestataires venues de l’est de la capitale progressent vers la « Gare 7 », l’un des points de rassemblement où plusieurs centaines d’autres révolutionnaires les attendent. Ibrahim (1), qui vient d’obtenir son diplôme de pilote de ligne, veut croire au ravivement de l’élan populaire de décembre 2018. Moins de quatre mois de mobilisation avaient suffi à évincer le dictateur Omar el-Béchir, pourtant agrippé au pouvoir depuis trente ans.

« Des personnes ont été tuées. D’autres ont perdu un bras ou une jambe, mais nous continuerons. Nous nous inspirons de la révolution française », déclare-t-il. Un 119e « martyr » tombera sous les balles des putschistes quelques heures plus tard, dans la ville voisine d’Omdourman. Au total, plus de 7 000 civils ont été blessés en un an.

La communauté internationale sommée de sanctionner les putschistes
Un peu plus loin, dans la marche vers le palais présidentiel, Makna (1) cite, lui aussi, la révolution française. « Cela a pris des années, mais les Français sont maintenant libres. En tant que jeunes résistants, nous ne sommes pas près d’être fatigués ! » Membre d’un comité de résistance, ces antennes révolutionnaires actives dans tout le pays, il interpelle les démocraties occidentales.

« Les militaires et leurs alliés de la puissante milice des Forces de soutien rapide ont bâti un empire. Leurs enfants étudient à l’étranger, en bénéficiant des ressources de notre pays si riche. Nous avons été très choqués que l’assemblée des Nations unies accueille Burhane le mois dernier. La communauté internationale doit au contraire nous aider à instaurer une démocratie dirigée par des civils en sanctionnant ces généraux », réclame celui qui ne s’oppose pas pour autant à la signature d’un accord avec les putschistes. À condition que ces derniers soient cantonnés à un conseil de sécurité et de défense. Et que les comités de résistance héritent d’au moins 70 % des sièges au sein du futur Parlement.

L’analyste Kholood Khair doute que la junte renonce à sa mainmise, à la fois économique et politique. « Les militaires ne veulent pas d’un Parlement qu’ils ne pourront pas contrôler. Le document constitutionnel de 2019 prévoyait de réserver moins d’un tiers des sièges à l’armée. Ce Parlement n’a jamais vu le jour. Les généraux refusent par ailleurs de confier les branches exécutives, législatives et judiciaires du gouvernement aux civils », détaille la fondatrice du centre de réflexion Confluence Advisory basé à Khartoum.

L’importante mobilisation du 25 octobre devrait néanmoins jouer en faveur des prodémocratie. « Les Forces pour la liberté et le changement, la coalition civile qui discute actuellement avec les militaires, va pouvoir se servir de cette journée pour renforcer son poids au sein des négociations », estime Jihad Mashamoun, chercheur spécialiste du Soudan à l’université d’Exeter.

Une nouvelle tentative de décrédibiliser les prodémocratie

Il appelle en outre à davantage de transparence sur le processus de négociations chapeauté par la communauté internationale. « Cette idée d’accord secret ne fonctionne plus, prévient-il. La population se sent exclue, tandis que les partisans de l’ancien régime s’en servent pour répandre des rumeurs sur les réseaux sociaux. »

Bien loin de reconnaître « l’erreur » de Burhane, les putschistes ont, par l’intermédiaire du porte-parole de la police, publié un communiqué à l’issue de ces cortèges anniversaires pour accuser les manifestants d’être dotés d’armes blanches, d’armes à feu ou encore d’engins explosifs. « Des prétextes à la violence excessive qu’ils utilisent pour affronter les cortèges à travers des gaz lacrymogènes et des bombes assourdissantes, des écrasements par véhicules blindés et des balles réelles », a répliqué le Comité des docteurs du Soudan, un syndicat prodémocratie, sur son compte Twitter.

Entre deux slogans scandés au rythme des tambours, les militants prodémocratie insistent systématiquement sur le caractère non-violent de leur mouvement. Un principe érigé dès les premières heures de la révolution de décembre 2018.

Par Augustine Passilly – Le Point

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