À Paris, les autorités muettes face à « l’errance » des mineurs en recours

Golhassan, Alpha et une soixantaine d’autres jeunes exilés vivent, depuis le 28 mai, sur un bout de trottoir de la place de la Bastille, à Paris. L’opération, soutenue par l’association Utopia56, avait pour but d’obtenir de la mairie et de l’État une structure d’hébergement dédiée à ces mineurs en recours. En vain, pour le moment.

La chaleur a poussé les Parisiens à l’ombre des terrasses des café. Celles qui bordent la place de la Bastille, dans le 4e arrondissement, sont prises d’assaut par les clients venus se désaltérer. Près de l’opéra, des petits groupes de jeunes sont réunis, aussi, sous les rares arbres de l’esplanade. Eux, en revanche, ne sirotent pas de boissons fraîches. Ils tuent le temps. À l’aide d’une discussion animée, de leurs téléphones ou d’une partie de Uno.

Voici le quotidien de la soixantaine de jeunes exilés, en majorité originaires d’Afrique subsaharienne, qui vivent ici depuis le 28 mai. Ce jour-là, l’association Utopia56 avait installé une trentaine de tentes aux yeux de tous, locaux comme touristes pour rendre visible ces jeunes, tous mineurs en recours.

Faire reconnaître la présomption de minorité

Leur minorité n’ayant pas été reconnue par le département, ils se retrouvent sans toit en attendant une décision de justice, amenée à trancher. Ni majeurs, ni reconnus mineurs, ces adolescents vaguent alors dans une zone grise, qui les « pousse à l’errance », affirme Pierre Mathurin, coordinateur de l’association.

Une situation inacceptable pour Utopia56, qui réclame la création d’un dispositif d’hébergement global pour les migrants dans cette situation. « Entre la décision de Paris, et la réponse du tribunal, il peut se passer entre six mois et un an, voire plus, déplore Pierre Mathurin. Nous voulons deux choses : que les autorités reconnaissent la présomption de minorité, pour ne plus faire vivre ce calvaire aux jeunes, et que des hébergements leur soient réservés ».

À Paris, il n’existe actuellement qu’un seul lieu d’accueil pour ces mineurs en recours : le centre Émile Zola, situé dans le 15e arrondissement. D’une capacité de 40 places, « il est totalement sous-dimensionné », regrette Pierre Mathurin. Surtout, l’endroit ferme ses portes à la fin de l’année 2022. Il y a donc urgence à trouver des solutions.

« Dormir à l’abri »

D’autant plus que ce « non-accueil » affecte considérablement les jeunes exilés. « L’errance à laquelle ils sont poussés » accentuent les « troubles psychiques préexistants tout en favorisant l’apparition de nouveaux troubles », affirme un rapport de Médecins sans frontières et du Comede, publié en novembre 2021. « Humeur triste, anxiété, troubles du sommeil et de la concentration, sentiment d’impossibilité à faire face » ou profonde dépression … La liste des symptômes de leur désespoir est longue.

Alpha, un Guinéen de 15 ans, reconnaît qu’il dort « vraiment très peu ». Mais à Bastille, c’est aussi à cause du bruit incessant de la circulation – de jour comme de nuit – et des températures caniculaires de ces dernières semaines. L’adolescent est ici « depuis le début » de l’opération, « pour pouvoir dormir à l’abri », explique-t-il, bonnet vissé sur la tête malgré la chaleur pour ne pas que sa peau « brûle au soleil ».

Avant le 28 mai, il dormait dans la forêt de Saint-Mandé, à l’est de Paris. Parti de Conakry quelques temps après le décès de son père, passé par le Maroc puis l’Espagne, Alpha n’avait pas imaginé que sa vie en France serait si difficile. « Moi, je voulais seulement venir ici pour étudier, avoir une chance de m’en sortir ». La journée, le jeune garçon assiste parfois à des cours de français donnés dans le quartier par une association.  

La promesse d’un nouveau centre pour mineurs en recours ?

Il y a un mois, Utopia56 a obtenu une petite victoire. Suite à une réunion avec plusieurs adjoints à la ville de Paris, l’association a obtenu de la mairie la promesse d’un nouveau bâtiment plus grand, pour remplacer le centre Émile Zola. Près de 100 mineurs en recours pourront y être accueillis. « Le point de blocage, c’est son financement », indique Pierre Mathurin.

« La mairie exige que l’État ‘prenne sa part’ et mette la main au portefeuille. Alors que la ville est, pour nous, tout aussi responsable : si ses évaluations de minorité n’étaient pas si défaillantes, il n’y aurait pas autant de mineurs à la rue. Ce qu’il faut, c’est une solution conjointe », ajoute le responsable.

À cause de la chaleur suffocante, rester sous les toiles de tente est impossible. Crédit : InfoMigrants
À cause de la chaleur suffocante, rester sous les toiles de tente est impossible. Crédit : InfoMigrants

Camp toléré par les autorités

Pendant que les autorités n’en finissent pas de s’en rejeter la responsabilité, ces jeunes, eux, luttent au quotidien pour se nourrir, boire, se laver et dormir. À l’instar de Golhassan, un adolescent afghan qui a quitté son pays en août 2021, après la prise de pouvoir des Taliban. Avant de venir place de la Bastille, il dormait « où [il] pouvait », la plupart du temps dans des parcs de la capitale. En France, Golhassan est seul. Toute sa famille est restée en Afghanistan, et son père, qui avait entamé son exil avec lui, a disparu à la frontière turco-iranienne. Malgré tout, le garçon peut compter sur ses amis afghans qui viennent lui rendre visite tous les jours sur le camp. 

Jusqu’ici, ce campement informel n’a pas pu être démantelé par la police, car sa présence est garantie par une déclaration de manifestation aux autorités. L’endroit est donc toléré et est devenu, les semaines passant, un lieu où se retrouvent et se soutiennent ces mineurs en détresse. Depuis trois semaines, Alexandre* vient ici tous les jours pour « discuter », et « ne pas être seul ». Il dort lui aussi sous une tente d’Utopia56, mais ailleurs. L’association aménage chaque soir, pour ces mineurs à la rue, un campement de fortune en proche banlieue.

Son parcours d’exil depuis son pays d’origine l’a visiblement meurtri. À l’évocation de ses différentes étapes, son visage se ferme et son regard se fixe au sol. Et expliquer les causes de son départ est tout bonnement impossible. « Si j’en parle, je vais me mettre à pleurer ». Avant de quitter son pays, l’adolescent de 16 ans voulait devenir infirmier. « Vu la situation ici pour les jeunes, je n’y arriverai jamais, souffle-t-il. Comment je vais faire pour faire des études ? Si seulement maman était encore vivante, rien de tout ça ne me serait arrivé ». 

*Le prénom a été modifié.

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