Afrique : pourquoi l’industrie pharmaceutique est à investir

CONSTAT. La pandémie du Covid-19 a exposé les faiblesses pharmaceutiques du continent. Elle a aussi mis en évidence sa forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

En Afrique, plus de 80 % des médicaments sont importés, essentiellement d’Inde et de Chine pour les génériques et auprès des grands laboratoires internationaux pour les médicaments sous licence. Le matériel médical, les masques, les tests, les protections, sont aussi importés, bien souvent d’Asie. Autant dire que le Covid-19 a agi comme un révélateur. À l’exception de quelques pays qui ont développé une véritable industrie pharmaceutique, comme l’Afrique du Sud, le Maroc, la Tunisie ou l’Égypte, lesquels couvrent entre 70 % et 80 % de leurs besoins, pour les autres pays du continent, les fabricants de médicaments se comptent sur les doigts.

Le Covid-19 révélateur de faiblesses

Sur le terrain, les industries pharmaceutiques locales ont été prises dans la tempête Covid. Difficile, voire impossible, de s’approvisionner en matières premières fabriquées en Asie. « Toute la production mondiale de principes actifs destinés à la médecine a été bouleversée. En tant que client en bout de chaîne en Afrique, nous avons rencontré beaucoup de perturbations logistiques dues à un très net ralentissement des transports maritimes et aériens. Dans le même temps, nous avons observé une très forte augmentation des coûts de transport », constate Mehdi Sellami. Intervenant début novembre 2020 à Paris lors du 1er Forum Afrique Demain, rencontre virtuelle consacrée à la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) autour du thème « Après la crise sanitaire, quelle RSE dans le domaine de la santé en Afrique ? », ce vice-président et directeur scientifique de Galpharma, un laboratoire de production de génériques en Tunisie, a indiqué combien l’effet Covid a aussi été ressenti au niveau des pharmacies. « Avec la peur de la contamination, les consultations ont diminué tout comme les prescriptions de médicaments. À part les patients souffrant de maladie chronique qui ont fait un stock de deux à trois mois, pour les autres traitements liés aux maladies aiguës, infectieuses, comme la grippe, ou inflammatoires, les ventes ont chuté », a-t-il indiqué.

Au Cameroun, les perturbations ont aussi fortement impacté les unités de production de génériques, condamnant certaines à l’arrêt. « Quand le Covid est arrivé, nous étions en train de passer des commandes. Les prix ont flambé de près de 40 %, d’un seul coup, même ceux que nous avions déjà négociés ! » a commenté Gisèle Etamé Loé. Avec Mehdi Sellami, cette directrice générale de GeneMark, société qui produit des médicaments génériques, notamment des sirops destinés aux enfants, a participé en novembre dernier au Forum virtuel Afrique Demain initié par le cabinet Afrique RSE, l’association Santé en entreprise (SEE), la plateforme d’engagement B4GH et le magazine Dirigeantes.

Une dépendance flagrante

Dans le sillon de ces déclarations, il y a cependant lieu de constater que la pandémie n’a fait que révéler des faiblesses existantes. La production locale peine à se faire une place dans un marché alimenté à 70 % par les importations étrangères. Même en Tunisie, où l’industrie locale est bien structurée, « nous sommes très dépendants des pays étrangers, que ce soit pour l’approvisionnement en matières premières, l’importation de biens industriels et le contrôle qualité des médicaments. Cela augmente les charges d’exploitation, allonge les délais d’approvisionnement et, évidemment, il faut une main-d’œuvre qualifiée pour faire tourner ces équipements qui viennent de l’étranger », a précisé Mehdi Sellami. Le continent africain n’est pas seul dans cette situation. L’Europe, et en particulier la France, a bien vite mesuré sa dépendance extérieure quand il s’agissait de se fournir en masques, en principes actifs pour les tests et en matières premières pour fabriquer les médicaments, au plus fort de la pandémie.

Les faux médicaments, un réel problème

En revanche, la vente de faux médicaments est bien un mal qui affecte principalement l’Afrique. « Ceux qui n’ont pas les moyens se tournent vers le marché parallèle pour acheter un médicament non contrôlé, qui est au mieux inefficace, au pire dangereux. Ce marché du médicament contrefait représente près de 60 % des médicaments consommés en Afrique », s’est alarmé Mehdi Sellami.

De son côté, Prosper Hiag, président du laboratoire de fabrication Africure Cameroun et président du conseil de l’Ordre national des pharmaciens, a insisté sur la nécessité de traiter ce problème de manière globale : « Vous pouvez avoir des politiques de lutte contre les faux médicaments dans votre pays, si votre voisin produit des faux, que pouvez-vous faire ? Rien. Ce problème doit être reconnu comme une priorité de santé publique. Tant qu’il n’y a pas de couverture santé universelle, que voulez-vous que les gens fassent ! Quand ils n’ont pas les moyens, ils vont chercher les solutions autour d’eux. Et ce sont malheureusement de mauvaises solutions. En Tunisie, il n’y a pas de faux médicaments ou très peu. Il y a des industries pharmaceutiques locales et la sécurité sociale. Voilà ce qu’il faut réunir pour tacler cette histoire de faux médicaments qui nous empoisonnent, qui empoisonnent les populations et qui tuent l’industrie dans nos pays. »

« Au Cameroun, le projet d’assurance maladie pour tous est en discussion… depuis plus de 20 ans. On espère cette fois-ci qu’il va aboutir ! » a ajouté Gisèle Etamé Loé, qui ne cache pas les difficultés à venir : « Lutter contre les faux médicaments, c’est aussi s’attaquer à de gros marchés, de gros volumes d’argent qui circulent et un grand nombre de personnes impliquées, un trafic qui relève du crime organisé ». La lutte contre les médicaments de rue nécessite l’implication politique, mais aussi des moyens. Et Prosper Hiag d’imaginer la mise sur pied d’un fonds de solidarité international.

Un défi : booster l’industrie pharmaceutique

« Le plus important est la protection du marché. On ne peut pas produire du paracétamol et avoir une cinquantaine de références de paracétamol qui rentrent dans le pays », s’est désolé Prosper Hiag. L’appui de l’État est indispensable, d’autant qu’il représente la plus grande part du marché des médicaments. Si les appels d’offres publics doivent être en priorité adressées à l’industrie locale, il semble aussi évident que les commandes passées soient honorées dans des délais raisonnables. « Le problème de la solvabilité est réel. J’ai des paiements [en attente] de plus de trois ans », a ainsi témoigné Gisèle Etamé Loé.

Douanes, une étape à rendre plus intelligible

Au Cameroun, les acteurs pharmaceutiques critiquent sévèrement les douanes. Alors que la fiscalité douanière est censée favoriser cette industrie, les difficultés s’amoncellent. « Au niveau des intrants, en principe exonérés de droits de douane, c’est toujours un casse-tête. Certains excipients sont communs à toutes les industries, comme le sucre ou les amidons. Le douanier va rétorquer qu’il ne s’agit pas d’un intrant pharmaceutique. Il faut alors courir à la direction des douanes pour obtenir une exonération par liste », a poursuivi Gisèle Etamé. « Certaines administrations se comportent encore comme des braqueurs, je veux parler en particulier de la douane », a tempêté Prosper Hiag. « Au Cameroun, il existe des mesures spécifiques et des tarifs préférentiels (énergie, eau, électricité) pour les entreprises stratégiques, les entreprises pharmaceutiques devraient être alignées. Nous en avons fait la demande, cela va peut-être passer en loi de finances cette année », s’est félicité Gisèle Etamé Loé.

Parmi les obstacles en Afrique : le morcellement du marché

Le développement des laboratoires africains se heurte aussi au morcellement des marchés. « Nous devons aller vers une agence africaine du médicament. Cela permettra de développer le commerce du médicament en Afrique, d’harmoniser les procédures, les réglementations et les standards. Ce travail a été entamé », a expliqué Prosper Hiag.

Et Mehdi Sellami de proposer : « Nous devons nous focaliser sur une stratégie post-Covid. Il faut engager des réformes et une stratégie sur le long terme, pour les différents pays africains. On note deux extrêmes, au sud et au nord du continent, l’industrie pharmaceutique est assez développée, alors que, pour le reste du continent, les pays sont concentrés sur la distribution. Cette situation détermine les priorités. Pour les pays comme la Tunisie, le mot d’ordre est l’innovation. Nous fabriquons déjà tous les médicaments de base et nous couvrons 70 % de notre marché, mais seulement 50 % du marché en chiffre d’affaires, car le générique coûte moins cher. Nous devons nous tourner vers les médicaments qui ne sont pas encore maîtrisés, issus de la biotechnologie comme l’insuline, ou bien les médicaments de niche comme ceux qui traitent les maladies orphelines. Pour les pays où l’industrie pharmaceutique est débutante, la priorité reste la formation d’une main-d’œuvre de qualité, avec, par exemple, des partenariats public-privé, des universités ou des consultants étrangers. »

Ce flot d’explications illustre l’importance des efforts qui restent à fournir pour le secteur pharmaceutique. Il y a en effet lieu de prendre conscience, avec l’alarme qu’a constituée la pandémie du Covid-19, qu’il fait partie des grands chantiers que les politiques africains doivent engager avec détermination et méthode.

Par Sylvie Rantrualepoint.fr

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