Débats – Médias. En Tunisie, le président entreprend d’“étouffer la liberté d’expression”

Dans un pays déjà en proie à une crise politique et démocratique majeure, le président Kais Saïed multiplie les mesures liberticides envers la presse, notamment à l’approche des élections législatives, s’inquiètent certains médias.

C’en est assez. Les journalistes tunisiens tirent la sonnette d’alarme à la suite de la multiplication d’agressions physiques et morales à leur encontre. Selon le dernier rapport du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), en l’espace d’une seule année, 232 agressions de journalistes ont été recensées. Les agressions auraient doublé en 2022. Le président du SNJT, Mohamed Yassine Jelassi, dénonce notamment “l’intimidation envers les journalistes et l’impunité policière, devenues une politique d’État”, rapporte le 7 novembre le quotidien francophone d’État La Presse.

Autre élément inquiétant pour les professionnels de l’information : la grande majorité des agressions sont l’œuvre de la police. “Si la révolution de 2011 a apporté un air de liberté aux médias tunisiens, aujourd’hui les journalistes mettent en garde contre une régression de la liberté de la presse”, commente La Presse. Entre 2021 et 2022, la Tunisie est passée de la 73e à 94e place au classement de Reporters sans frontières (RSF).

Le 14 janvier dernier, alors qu’ils couvraient une manifestation dans le centre-ville de la capitale, Tunis, des journalistes ont été “passés à tabac” par des agents de police. Or le 14 janvier est une date symbolique puisqu’elle marque l’anniversaire de la révolution de 2011.

Des décrets liberticides

Depuis son coup de force constitutionnel, le 25 juillet 2021, le président tunisien, Kaïs Saïed, ne cesse d’envoyer des signaux inquiétants aux médias. Il y a un mois, il publiait notamment un décret considéré comme liberticide par les journalistes.

Visant officiellement à combattre les fausses informations, le texte prévoit une peine de prison de cinq ans et une amende de 50 000 dinars (plus de 15 000 euros) pour toute personne “qui utilise délibérément les réseaux de communication et les systèmes d’information pour produire, promouvoir, publier ou envoyer de fausses informations ou des rumeurs mensongères”.

Après l’adoption de ce décret, le site panafricain African Arguments se demande si la Tunisie peut encore être considérée comme une démocratie :

“Dans un monde de plus en plus déstabilisé par la propagation de la désinformation, cette approche peut sembler louable. En réalité, il s’agit de la dernière d’une série de mesures prises par un dirigeant de plus en plus autocratique visant à étouffer la liberté d’expression et à supprimer les mécanismes de responsabilité.”

Concrètement, ce sont les termes très vagues d’“ordre public” et de “sécurité publique”, contenus dans le décret-loi, qui laissent une large place à l’interprétation des magistrats.

En mars dernier, Amnesty International avait exprimé son inquiétude vis-à-vis d’un décret “antispéculation”, qui prévoit des peines de prison contre celles et ceux qui feraient “des commentaires négatifs sur la politique économique du gouvernement”.

Le site African Arguments estime que la Tunisie s’éloigne “de jour en jour” du club des pays démocratiques. Et si la communauté internationale continue à se taire, “les choses ne feront qu’empirer”. Des élections législatives controversées et boudés par les principaux partis politiques doivent se tenir le 17 décembre prochain.

Demonstrators carry banners during a protest organized by the National Union of Tunisian Journalists, calling for the freedom of expression in Tunis, Tunisia September 9, 2022. REUTERS/Jihed Abidellaoui

Par Malik Ben Salem – Courrier International

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