Au Maroc, une affaire de « revenge porn » relance le débat sur la liberté sexuelle

Une jeune femme a été condamnée à un mois de prison ferme après la diffusion d’une scène de sexe sur les réseaux sociaux. L’auteur de la vidéo, résidant aux Pays-Bas, n’a pas été inquiété.

Il y a comme un parfum gênant de déjà-vu dans cette affaire de mœurs qui secoue le Maroc. Une scène de sexe exposée au public, une femmecondamnée à la prison ferme, un homme libre absous par la société. Les faits remontent à la toute fin du mois de décembre 2020. Une vidéo devenue virale fait le tour des réseaux sociaux : on y voit une mère célibataire de 24 ans dénommée Hanaa, vêtue d’un niqab (voile intégral), en plein rapport sexuel. Selon son avocat, Me Mohamed Hamidi, les images ont été filmées à son insu quatre ans plus tôt par un homme qui n’apparaît pas sur la vidéo.

Le phénomène porte un nom : « revenge porn » (vengeance pornographique). De plus en plus courante au Maroc, cette forme de cyberharcèlement consiste à diffuser des images pornographiques d’une personne sans son consentement pour exercer un chantage, faire connaître son homosexualité ou l’humilier sur les réseaux sociaux. Au point parfois, comme dans le cas de Hanaa, de déboucher sur une condamnation. Le 4 janvier, cette mère de deux enfants de 10 et 8 ans a ainsi été arrêtée à Tétouan puis condamnée à un mois de prison ferme pour outrage public à la pudeur et pour rapports sexuels hors mariage, en vertu du très décrié article 490 du code pénal marocain.

Le jour de sa sortie de prison, mercredi 3 février, Hanaa a déclaré par la voix de son avocat son intention de porter plainte contre les sites pornographiques ayant diffusé la vidéo, et contre l’homme ayant filmé et diffusé les images. Car, même si la loi marocaine condamne les relations sexuelles hors mariage chez la femme et l’homme, celui-ci n’a pas été arrêté. « La justice marocaine a émis un mandat d’arrêt national contre cet homme qui s’avère être résident aux Pays-Bas, avec qui le Maroc n’a pas d’accord de coopération judiciaire. Il faut donc déposer une plainte aux Pays-Bas », précise Me Ghizlane Mamouni, avocate au barreau de Paris et membre du collectif des 490, qui a rencontré Hanaa à Tétouan.

« Sexisme systématique »

Lancé en 2019 après l’arrestation de la journaliste Hajar Raissouni pour avortement illégal et relations sexuelles hors mariage, le collectif a organisé un « sit-in virtuel » mercredi pour défendre la jeune Hanaa et demander l’abrogation de l’article 490 « afin d’en finir avec le sexisme systématiquedes institutions publiques et la mentalité patriarcale qui sévit dans notre pays », indique un communiqué.

Face à ce qu’elles considèrent comme une injustice, les associations et les figures féministes du royaume se sont enflammées sur les réseaux sociaux. « Cette affaire prouve encore une fois que ce sont toujours les mêmes qui se retrouvent derrière les barreaux, c’est-à-dire les plus fragiles alors qu’elles devraient justement être protégées par l’Etat, déclare au Monde Afrique l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani, co-fondatrice du collectif. Ces femmes sont à la fois victimes de violences individuelles et de violence de la part de l’Etat, qui finit par les poursuivre. 

Depuis 2018, une loi contre les violences faites aux femmes sanctionne le harcèlement sexuel dans les espaces publics, ainsi que les violences numériques pour lesquels les peines vont jusqu’à trois ans de prison ferme. Mais très peu de femmes osent porter plainte, craignant que cela se retourne contre elles. Ainsi, en vertu de l’article 490, les images de « revenge porn » peuvent se transformer en preuves de culpabilité si le harceleur n’est pas leur époux. « Au Maroc, nous avons une police patriarcale et une magistrature qui n’est pas forcément sensibilisée aux violences faites aux femmes et a plutôt tendanceà s’orienter vers l’article 490 dans leur jugement », explique Me Mamouni.

« Il faut que la société civile agisse »

Selon un rapport publié en mars 2020 par le réseau Mobilising for Rights Associates (MRA), au Maroc, sept victimes sur dix préfèrent taire les violences virtuelles, par honte et par peur du rejet social. L’étude réalisée dans une quarantaine de villes marocaines précise que les conséquences des violences virtuelles sont tout aussi graves que celles des violences « réelles ». Ces dernières années, MRA a déploré des cas de dépression, de marginalisation sociale et même des suicides liés à ces affaires de vengeance pornographique.

La jeune Hanaa, elle, se trouvait déjà en situation de vulnérabilité en tant que mère célibataire, tombée enceinte pour la première fois à l’âge de 13 ans à la suite d’un viol. Désormais ses enfants, victimes de moqueries et d’insultes, ne se risquent plus à aller à l’école. « Toute sa famille, sauf sa mère, s’est retournée contre elle. Elle a très peur, surtout pour l’avenir de ses enfants. Il faut que la société civile agisse », avertit l’avocate.

Par Ghalia Kadiri(Casablanca, correspondance) / Le Monde

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