UA : Examiner les causes profondes des conflits et de l’instabilité politique

Les pays membres de l’Union africaine devraient profiter de leur prochain sommet pour s’engager à traiter des questions de droits humains qui sous-tendent les conflits armés et les bouleversements politiques sur le continent africain, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le Sommet extraordinaire sur le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique se tiendra du 25 au 28 mai 2022, à Malabo, en Guinée équatoriale.

Le sommet de l’UA se déroule dans un contexte marqué par cinq coups d’État survenus  en Afrique depuis 2021, par des insurrections islamistes au Cameroun, , au Mozambique, en République centrafricaine, en Somalie et au Sahel, et par une impunité généralisée pour les violations des droits humains commises par les forces de sécurité gouvernementales.

Le sommet doit débuter le même jour que la Journée de l’Afrique, qui commémore la fondation, en 1963, de l’Organisation de l’unité africaine, qui a précédé l’UA. Le sommet est l’occasion pour les dirigeants du continent de s’attaquer à la répression politique persistante, à l’impunité endémique, au non-respect des limites constitutionnelles des mandats et au truquage des élections.

« Le sommet de l’UA devrait honorer ses promesses de février en analysant les liens qui existent d’une part  entre les violations des droits humains et d’autre part les insurrections et coups d’État en Afrique », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, directrice du plaidoyer pour l’Afrique à Human Rights Watch. « Les dirigeants africains ne peuvent se permettre d’ignorer la manière dont l’impunité pour les atrocités commises par leurs forces de sécurité crée du ressentiment lequel, à son tour, alimente le recrutement au sein des groupes extrémistes. »

Au Sahel, les réponses des gouvernements et de leurs partenaires occidentaux devraient aller au-delà des dimensions sécuritaires de la crise et prendre en compte les facteurs sociaux et politiques sous-jacents et profondément enracinés, a déclaré Human Rights Watch. Au cours de la dernière décennie, les Nations Unies, Human Rights Watch et d’autres organisations non gouvernementales ont documenté des milliers d’exécutions illégales et d’autres abus commis contre des civils et des suspects par les forces de sécurité au Burkina Faso, au Mali et au Niger au cours d’opérations antiterroristes. Les gouvernements n’ont toujours pas rendu justice aux victimes et à leurs familles.

De nombreuses atrocités semblent avoir été commises en guise de représailles suite à la mort de soldats lors d’attaques menées par des groupes islamistes armés. À Malabo, les dirigeants africains devraient réfléchir à la mise en place et au renforcement d’opérations de lutte contre le terrorisme dotées de mécanismes intégrés de surveillance des droits humains et d’information sur ces derniers. Ils devraient également s’engager à renforcer les institutions judiciaires afin qu’elles puissent enquêter sur les violations présumées de ces droits et poursuivre les responsables en justice.

« L’UA devrait reconnaître que les abus commis des gouvernements sont un facteur clé dans les   crises endémiques, et requièrent des approches audacieuses », a déclaré Carine Kaneza Nantulya. « Les droits humains devraient être placés au cœur des solutions régionales pour le Sahel et pour d’autres crises. »

L’UA devrait coopérer avec la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), afin d’accroître la présence de responsables des droits humains dans les missions antiterroristes dirigées par des Africains. Les gouvernements devraient veiller à ce que les accords de coopération relatifs aux opérations antiterroristes intègrent des normes en matière de droits humains, comme celles figurant dans la politique de diligence voulue des Nations Unies en matière de droits de l’homme.

L’UA devrait appeler à des efforts significatifs et efficaces de réforme du secteur de la sécurité dans les pays touchés par les conflits et prendre des mesures concrètes pour améliorer le respect par les forces de sécurité du droit international des droits humains et du droit humanitaire, et encourager leurs progrès en matière de protection des civils. Ces mesures devraient inclure la mise en place d’organes de surveillance civile et de mécanismes de vérification pour écarter des services de sécurité et de renseignement ceux de leurs membres qui seraient impliqués dans de graves violations des droits humains.

Les membres de l’UA devraient aussi s’attaquer à la question du déficit démocratique et aux problèmes liés à la corruption, à l’impunité, à la limitation des mandats et à la nécessité d’organiser des élections libres et équitables, qui ont nui au développement et encouragé des changements de gouvernement qui privent les citoyens africains du droit de choisir leurs dirigeants.

Au Soudan, depuis le coup d’État militaire d’octobre 2021, les forces de sécurité ont détenu arbitrairement des centaines de manifestants et fait disparaître de force des dizaines d’autres dans un contexte de répression plus large des activistes et opposants de la société civile au coup d’État. Les forces de sécurité ont pris pour cible des manifestants, y compris des enfants. L’engagement des dirigeants de l’UA auprès des dirigeants soudanais en vue de résoudre la crise devrait tenir réellement en compte les demandes des manifestants et de la communauté civique au sens large, notamment en garantissant des réformes systémiques, y compris au sein des forces de sécurité, en donnant la priorité à la justice pour les abus passés et plus récents et en instaurant un régime civil.

Au Tchad, la situation des droits humains, notamment les droits à la liberté de réunion et d’expression, s’est aggravée depuis la mort inattendue du président Idriss Deby Itno en 2021 et la prise de pouvoir par son fils, Mahamat Idriss Déby Itno.

« L’UA devrait exhorter les dirigeants militaires du Tchad et du Soudan à mettre fin aux meurtres, aux disparitions forcées et aux détentions arbitraires de manifestants et d’activistes », a déclaré Human Rights Watch. Les autorités devraient répondre aux demandes des citoyens qui réclament un leadership éthique, un régime civil et la sécurité économique, et faire preuve d’un plus grand respect des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion.

Il y a près de 60 ans, en créant l’Organisation de l’unité africaine, les dirigeants africains ont décidé d’ancrer leur vision de liberté et de dignité humaine dans une institution panafricaine, qui est aujourd’hui l’Union africaine. Au moment où les dirigeants africains réfléchissent sur les nombreux progrès réalisés depuis 1963, ils devraient prêter une attention particulière, pour y répondre, aux nouvelles formes de répression étatique que sont l’utilisation d’équipements de surveillance de masse, le blocage de l’accès à l’aide humanitaire, la fermeture délibérée d’Internet ou encore le refus des demandes d’accès à l’information.

« L’UA devrait s’attaquer de toute urgence à la répression de plus en plus impitoyable exercée contre la dissidence et l’opposition politique par les gouvernements autocratiques, laquelle alimente les crises politiques à travers l’Afrique », a conclu Carine Kaneza Nantulya. « L’UA devrait prendre des mesures pour inverser ces tendances qui sont autant de revers graves pour les progrès durement acquis en matière de justice, de responsabilité et d’État de droit, et agir en conséquence. Sinon, ceux qui, comme le fondateur de l’OUA Julius Nyerere, affirment que l’UA est un club d’autocrates et non une institution du peuple africain, auront bientôt raison. »

Wolrd Opinions + Human Rights Watch

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