Surpêche. Plan d’action pour l’océan : le chalutage de fond dans les filets de l’UE

Alors que l’UE, qui prépare son «plan d’action pour l’océan» et clôt sa consultation publique le 10 janvier, des ONG environnementales dénoncent le chalutage de fond comme la «pire technique de pêche au monde».

Vos toasts au saumon du réveillon sont tout juste digérés. Des filets carrés de colin d’Alaska s’entassent dans votre congélateur. Une conserve de sardines traîne dans un placard. La consommation de poissons a la cote en France, dépassant les 2,31 millions de tonnes en 2015, faisant du pays l’un des deux plus grands marchés européens des produits aquatiques avec l’Espagne.

Nombre de scientifiques et d’associations alertent néanmoins sur les dangers de la surpêche. En ligne de mire, le chalutage de fond, technique de pêche qualifiée ces derniers jours comme «la plus néfaste à l’environnement et au climat» par une coalition d’ONG – Oceana, Seas at Risk, Our Fish, Environmental Justice Foundation entre autres. Le 9 décembre, une quarantaine d’universitaires, ONG et consultants en environnement, avec le soutien financier de fondations américaines, ont publié une synthèse détaillée à ce sujet.

Les citoyens aussi montent au créneau. Une pétition rassemblant plus de 152 000 signataires a été remise le 20 décembre au Commissaire européen Virginijus Sinkevicius chargé des Affaires maritimes et de la pêche, dans le cadre de la consultation publique ouverte jusqu’au 10 janvier par l’UE, afin de légiférer au printemps. A chaque fois, la même revendication des ONG ou des Européens : l’interdiction immédiate du chalut de fond dans toutes les aires marines protégées d’Europe – Allemagne, Pays-Bas et France en tête.

L’écosystème déréglé

Les chaluts de fond, ces navires qui tractent de larges filets longs parfois de 500 mètres, ratissent les sols marins pour capturer des tonnes de poissons, sans distinction. Mais emportent avec eux flore, coraux, herbiers et colonies d’éponges. Selon la synthèse du 9 décembre, 26% des produits de la mer sont prélevés avec cette technique, soit 30 millions de tonnes, l’équivalent de ce qu’attrapent l’ensemble des pêcheurs artisanaux. Soit aussi «entre 200 et 600 milliards de poissons», évalue Brigitte Gothière de l’association de défense des animaux L214, contactée par Libération.

«C’est trop» et de manière «si brutale», dénonce-t-elle. Elle précise : «Par comparaison, on tue 80 milliards d’animaux terrestres par an dans le monde.» D’autant que ces engins sont «peu sélectifs», s’insurge Fabienne Trolard, géophysicienne à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae). «Le chalut ne fait pas dans la dentelle, il prend toutes les espèces à l’aveugle, déréglant ensuite tout l’écosystème marin», détaille-t-elle. La diversité des poissons est pourtant nécessaire à la survie de toutes les espèces, du monde marin mais aussi terrestre, l’océan fournissant 50% de l’oxygène que nous respirons, selon un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) de 2019.

«On vit à crédit»

En outre, les chaluts de fond sont «très énergivores, d’une autre époque», souligne Philippe Cury de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et président du conseil scientifique de Monaco. Ils consomment jusqu’à 40 milliards de litres de carburant par an et abîment de manière irréversible les fonds marins, sources de nourriture pour les animaux et puits de carbone essentiel, explique un article scientifique publié dans la revue internationale Nature en mars.

En 2015, 33% des stocks de poissons dans le monde étaient surexploités. Le système est à bout de souffle. La faute entre autres, selon Fabienne Trolard, à des entreprises véreuses qui veulent aspirer toujours plus de poissons pour les vendre à des prix défiant toute concurrence. Revient également le problème des besoins alimentaires en forte hausse dans le monde. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la production alimentaire doit doubler d’ici à 2030 pour nourrir l’ensemble des habitants de la planète.

Conséquences irrémédiables pour la géophysicienne : «On vit à crédit. On fonctionne comme si on était encore dans les années 80, quand on croyait encore que les ressources halieutiques étaient infinies, déplore-t-elle. Les intérêts commerciaux marchands sont hors sol.»

«Subventions peu vertueuses»

Fabienne Trolard pointe notamment la responsabilité de l’UE, dont la réponse est «insuffisante» à ses yeux. En 2016, après quatre ans d’intenses négociations, l’UE a banni la pêche en eaux européennes au-delà de 800 mètres, une profondeur ramenée à 400 mètres dans les zones dites «d’environnement marin vulnérable». Pour Philippe Cury, «l’UE est encore trop frileuse, il faut repenser la pêche dans sa globalité, promouvoir des méthodes plus économes». Et sa collègue de l’Inrae de renchérir : «L’Europe n’a aucune lecture scientifique du problème, seulement une vision économique et court-termiste.»

Au niveau mondial, l’ONU s’emparait déjà de la question en 2006. Elle avait demandé que la pêche de grands fonds soit encadrée, de manière à protéger les milieux marins très vulnérables. Constatant l’immobilisme des Etats, l’organisation appelle officiellement, depuis 2015, à l’interdiction des «subventions néfastes» qui favorisent la «surcapacité et la surpêche». Pour Philippe Cury, c’est là que réside le problème. Les aides mondiales, sous forme de détaxe du carburant ou d’aides à la motorisation et à la construction de chaluts toujours plus puissants, sont «peu vertueuses». Et pourtant largement répandues, s’élevant «à plus de 35 milliards de dollars par an», regrette-t-il.

Le chercheur attend désormais impatiemment de voir comment l’UE mènera sa «stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030.» Avec, au printemps prochain, son «Plan d’action pour l’océan», destiné à préserver les ressources halieutiques et à protéger les écosystèmes marins. Et à plus long terme avec son «pacte vert», annoncé en fanfare en décembre 2019, quand Ursula von der Leyen a pris la tête de la Commission européenne. Son objectif : faire de l’Europe un continent «climatiquement neutre» d’ici à 2050.

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