Neuf ans après son dernier enregistrement, Stromae signe « Multitude ». Un troisième album qui lui permet d’enfiler différents costumes et de faire défiler les paysages sonores, en globe-trotter de la musique.
« Bienvenue! », lâche le Belge tout sourire en écartant le rideau d’entrée du bar privatisé d’un hôtel parisien où il reçoit l’AFP. Oubliée la dépression, aggravée par les effets secondaires d’un antipaludique, qui l’avait cloué au sol il y a quelques années, dans le sillage d’une tournée mondiale épuisante.
A 36 ans (37 dans quelques jours), l’artiste a repris son envol, remontant sur scène, une première depuis sept ans, pour trois « avant-premières » à Bruxelles, Paris et Amsterdam. L’idée était de présenter le successeur de son album « Racine carrée » (2013, celui de la consécration). La nouvelle livraison s’appelle « Multitude » et a tout de la recette gagnante.
>> A voir, le clip de « L’enfer »:
Ambition retrouvée
« L’enfer », titre déjà dévoilé, lui permet d’exorciser le passage à vide qu’il a connu. Et « Invaincu », morceau d’ouverture, sur disque comme sur scène, atteste de son retour en forme, du burn-out envoyé au tapis, et d’une ambition retrouvée.
Stromae évite le piège de l’album-thérapie, s’éloignant de ses tourments passés, pour se faire conteur, variant les narrations. Comme dans « Riez » où les rêves d’un chanteur (être reconnu et riche) et ceux d’un migrant (des papiers et un repas) sont confrontés.
Ou comme dans « Fils de joie » où il prête sa voix au fils d’une prostituée face à un client, un policier et une maquerelle. « Les sujets qui sont loin de soi, c’est parfois plus facile d’en parler. C’est venu d’une émission télé française, ‘Ça commence aujourd’hui’, qui recueillait ce jour-là les témoignages d’enfants de travailleuses du sexe, j’avais vraiment été touché par la violence de ce qu’ils vivaient », raconte l’artiste.
Cette volonté de « parler des invisibles » se retrouve aussi dans « Santé », hit déjà connu consacré aux petites mains et autres travailleurs de l’ombre.
>> A voir, le clip de « Santé »:
Intonations et points de vue variés
Ce plaisir de varier l’intonation de sa voix et les points de vue le rapproche d’un acteur. « Un peu, c’est vrai, j’aime interpréter des personnages, mais je n’ai pas réinventé la roue, c’est la meilleure façon de raconter des histoires, des fois comme narrateur, des fois comme sujet ». De quoi tenter un jour le métier de comédien? « Non, plus le temps passe, plus je n’aime pas perdre de temps face à la caméra, je préfère être derrière, réalisateur, bien au chaud dans sa grosse veste plutôt qu’acteur qui se les gèle et doit faire vingt fois la prise (rires) ».
Stromae dribble aussi l’écueil de la chanson dédiée à son enfant avec « C’est que du bonheur », où il évite tout angélisme et décrit avec humour un quotidien repeint aux couleurs « vomi » ou « caca ».
Une approche sans fard. « Je pense à Arno (célèbre chanteur belge, son parrain dans le métier) qui a ce truc très franc-parler, très cru; ‘pipi-caca-vomi’ j’ai eu les mains dedans (rires), j’ai eu un petit garçon il y a trois ans ».
Registre musical étendu
Dans « Racine carrée », les références allaient de l’électro d’Europe du nord aux mélodies de Cesaria Evora. Le registre de « Multitude » est encore plus étendu, entre trame électro, flûte persane, chinoise ou guitare des Andes péruviennes.
« Je suis un mélange, à la base, de père rwandais et de mère flamande-belge. Et ma mère a toujours eu cette envie de découvrir le monde et me l’a transmise. Grâce à elle j’ai découvert la Bolivie, le Mali, le Mexique, le Pérou, l’Argentine ».
« Mais il m’a toujours fallu du temps pour apprécier les musiques qu’elle écoute, la musique bolivienne, je détestais il y a dix ans, je l’adore aujourd’hui. Ma mère écoute depuis longtemps de la musique japonaise, je ne suis pas encore prêt (rires), mais je m’y mettrai peut-être ».
World Opinions / AFP