Soudan : l’insoutenable hausse du prix du pain 

REPORTAGE. Depuis le coup d’État d’octobre, l’inflation s’est envolée faisant flamber le prix du pain, symbole de la révolution de décembre 2018.

C’est le triplement du prix du pain qui avait poussé des milliers de Soudanais dans les rues en décembre 2018. Peu à peu, les revendications sociales et politiques s’étaient greffées à l’indignation suscitée par cette augmentation. Cela avait amplifié le soulèvement populaire jusqu’à évincer le dictateur Omar el-Béchir, pourtant agrippé au pouvoir depuis 30 ans. 

Or, depuis le coup d’État perpétré le 25 octobre, cette denrée centrale des tablées soudanaises s’est vue multipliée par dix. La miche qui se vendait 5 livres soudanaises (SDG) en octobre a atteint 50 SDG début avril – soit un passage d’environ un centime d’euros à 10 centimes d’euros d’après le taux de change fixé par la Banque centrale soudanaise ce 4 avril. Cette flambée résulte principalement du gel de plus de 4,5 milliards d’euros d’aide internationale pour sanctionner les auteurs du putsch.

Certains citoyens renoncent au pain

« Le pain est devenu trop cher. Nous devons le remplacer par du riz ou des lentilles », témoigne Aziza Isaq, 39 ans. Cette mère de neuf enfants, dont la petite dernière n’a que cinq mois, a récemment perdu son mari. Ses maigres revenus de femme de ménage l’ont par ailleurs contrainte à renoncer au lait et partiellement au sucre, dont le prix a doublé en un mois. Ces importantes hausses touchent en effet l’ensemble du secteur alimentaire, ainsi que l’électricité, le carburant ou encore les transports en commun.

Beaucoup de Soudanais continuent malgré tout à aller acheter leur sac de pains individuels, ronds ou en forme de baguettes. Les habitants du quartier de Manshiya, dans l’est de Khartoum, récupèrent leur précieux butin au comptoir vert d’eau de Mohamed Ahmed. Propriétaire de trois boulangeries dans la capitale, ce trentenaire emploie treize salariés. Il administre en parallèle un groupe d’entraide sur Facebook qui rassemble près de 24 000 boulangers. 

Cette dépendance inquiète également l’économiste Mujahid Khalfalla. Ce dernier estime que « les Soudanais consomment 2,7 millions de tonnes de blé par an. Seulement 700 000 kg sont produits localement. Tandis que les trois quarts du blé importé proviennent de Russie et d’Ukraine ». Cependant, le chercheur se soucie davantage de l’inflation nationale. « La valeur de notre monnaie décline quotidiennement. C’est pour cela que le prix du pain augmente, explique-t-il. Il y a évidemment une hausse du prix du blé au niveau mondial liée à la guerre en Ukraine. Mais les prix sont en moyenne multipliés par 1,5 et non par 10 comme au Soudan ! »

Les putschistes impriment plus de billets

L’économiste accuse donc, lui aussi, les putschistes. « Les dépenses du gouvernement, incluant la mise en place de l’accord de paix signé à Juba en octobre 2020, devaient être financées par le soutien international. Maintenant que le gouvernement a perdu ces sommes, sa seule option consiste à imprimer plus de billets. Ce qui accroît l’inflation », détaille Mujahid Khalfalla.

À court de ressources, les militaires ont dû lever les subventions qui maintenaient auparavant le pain à un coût relativement bas. Une erreur, selon le boulanger Mohamed Ahmed : « L’État ne devrait pas libéraliser les prix des produits de première nécessité. Un tiers des Soudanais sont sans-emploi. Leurs conditions de vie et leurs salaires sont modestes. S’ils dépensent tout leur argent dans le pain, comment peuvent-ils payer le reste ? » 

Ce 6 avril, les Soudanais retourneront dans les rues pour marquer le troisième anniversaire du sit-in ayant conduit à la chute de l’ancien régime. Ils espèrent désormais faire tomber les généraux qui se sont, entre-temps, accaparé le palais présidentiel. 

World Opinions – Le Point Afrique

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