Après plus d’une année de guerre sanglante, les autorités rivales en Libye ont annoncé séparément vendredi l’organisation d’élections et la cessation de tous les combats sur le territoire. Mais ces communications sont à prendre avec une grande prudence.
Deux autorités se disputent toujours le pouvoir en Libye: le GNA de Fayez al-Sarraj basé à Tripoli et reconnu par l’ONU, et un pouvoir incarné par Khalifa Haftar, homme fort de l’Est soutenu par une partie du Parlement élu et son président, Aguila Saleh.
Communiqués simultanés
Dans un communiqué, Fayez al-Sarraj, également président du Conseil présidentiel, a appelé vendredi à la tenue d’élections « présidentielle et parlementaires en mars prochain sur une base constitutionnelle qui bénéficie du consensus de tous les Libyens ».
Il dit avoir ordonné parallèlement « à toutes les forces armées un cessez-le-feu immédiat et l’arrêt des opérations de combat sur tout le territoire », ce qui permettra, selon lui, de créer des zones démilitarisées dans la région de Syrte (nord) et dans celle de Joufra, plus au sud, toutes deux sous contrôle des pro-Haftar.
Dans un communiqué distinct, Aguila Saleh a annoncé des élections, sans avancer de date, et demandé à « toutes les parties » d’observer « un cessez-le-feu immédiat et d’arrêter tous les combats ». Il propose l’installation d’un nouveau gouvernement qui remplacerait le GNA et serait basé à Syrte, ville natale de Mouammar Kadhafi puis bastion du groupe djihadiste Etat islamique (EI) qui en a été chassé en 2016.
Washington à la manoeuvre
Cette « entente », qui a été saluée par l’ONU, est cependant encore loin de signifier une paix durable en Libye. Il faut surtout comprendre qui est à la manœuvre derrière ces déclarations. Car le conflit s’est internationalisé, au point que les Libyens ne sont plus maîtres de leur destin.
Spécialiste de la Libye, Jalel Harchaoui souligne dans l’émission Forum que « ce sont les Américains qui sont derrière le plan et l’esprit de l’annonce » de vendredi. « On sent l’effet d’une diplomatie américaine qui semble pressée de parvenir à un cessez-le-feu qui marche au moins sur le papier », dit-il en précisant: « Ils sont entrés dans cette dynamique avec un désir d’abord de faire reculer la présence des mercenaires russes ».
Dans ce conflit, Moscou soutient le Maréchal Haftar, homme fort de l’Est Libyen, qui a déclenché la guerre civile en tentant en avril 2019 de s’emparer de l’ensemble du pays – notamment avec l’aide des combattants russes qui contrôlent l’essentiel des opérations militaires. Et d’un point de vue géopolitique, cette hyper-présence russe dans un pays aussi stratégique que la Libye ne peut que déplaire aux Américains.
La présidentielle américaine en ligne de mire
Mais si Washington intervient maintenant, c’est dans la perspective de l’élection de novembre prochain. Il s’agit d’une décision qui touche à la politique intérieure.
« Les Américains, en pleine année présidentielle, ont décidé de se réveiller », note Jalel Harchaoui. « Mais ça n’est pas un réveil tout à fait profond et sincère. Il y a peut-être plus de désir de faire quelque chose en surface (…), tenter quelque chose avant la fin de l’été ».
Le poids des Emirats arabes unis
Reste que, pour stabiliser la Libye et donc écarter Moscou, les Américains doivent faire changer d’avis les Emirats arabes unis (EAU). Car, encore plus que la Russie, ce sont eux qui ont soutenu d’abord – politiquement et financièrement – l’offensive du Maréchal Haftar en rêvant d’un homme fort, autoritaire, à la tête du pays.
« Les Américains n’ont pas réellement réussi à modifier le comportement des Emirats arabes unis en Libye », constate Jalal Harchaoui. Et « ça pose problème surtout lorsqu’il s’agit de démilitariser des zones comme c’est censé se produire selon ce plan ».
« Nous ne sommes pas dans l’été de la paix »
Les déclarations de vendredi affichant une volonté de bâtir la paix sont donc à prendre avec beaucoup de prudence.
« Nous ne sommes pas dans l’été de la paix », souligne encore ce spécialiste. « Ce n’est pas le chapitre deux de l’annonce de paix entre les Emirats et Israël, c’est un cas beaucoup plus compliqué (…) Il faut regarder le caractère réaliste d’une mise en œuvre (…) Tous ces mécanismes n’existent pas, donc il ne faut pas lire cette nouvelle avec trop d’enthousiasme ».
Epuisée par plus d’un an de guerre, la population libyenne, elle, n’en peut plus et souhaite évidemment la paix. Mais elle sait que son destin est plus que jamais entre les mains des grandes puissances et ne se fait guère d’illusions.
World Opinions News – afp