La question des enfants en errance dans un contexte de migration a été analysée au cours d’un séminaire fermé, tenu mardi par le CCME et l’Université internationale de Rabat (UIR). Plusieurs intervenants ont abordé la question, de manière à mettre en œuvre la protection de la part des Etats.
Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) et l’Université internationale de Rabat (UIR) ont organisé, mardi, un séminaire fermé intitulé «Mineurs en mouvement : dynamiques, politiques publiques et droits». L’idée a été d’«établir un état des lieux de la recherche et analyser les spécificités, les convergences, les bonnes pratiques et les défis auxquels sont confrontés les différents pays (le Maroc, l’Espagne, la France, l’Italie notamment) et les diverses institutions et organisations internationales».
«Cet espace transnational de mutualisation d’expériences et d’échanges de bonnes pratiques et de pistes d’action nous manque, me semble-t-il, aujourd’hui. Qu’il puisse au moins nous inspirer», a indiqué le président du CCME, Driss El Yazami. «C’est dans un tel cadre, qu’il nous faut imaginer, que nous pensons qu’il faut nous inscrire pour avancer, ensemble, vers la solution d’une problématique devenue à la fois structurelle et complexe», a-t-il ajouté.
La non-discrimination dans le principe de protection des enfants en errance
Professeure de droit, membre du Comité des droits de l’enfant des Nations unies au Maroc, Hynd Ayoubi-Idrissi a abordé, dans ce sens la place de ce Comité dans son traitement de la question des mineurs non accompagnés. «La migration des enfants se fait de plus en plus, pour des raisons différentes et sur la base de plusieurs facteurs sociaux. Le comité des droits de l’enfant est l’organe chargé de suivre la mise en œuvre de la Convention internationale des droits des enfants (CIDE) par les Etats membres», a-t-elle expliqué.
Dans l’article 22, la convention parle des enfants réfugiés, demandeurs d’asile, accompagnés et non accompagnés, qui doivent bénéficier de la protection grâce à la coopération étroite entre les Etats, les organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales et lui garantir la protection. «La question de l’enfant migrants non accompagnés est traitée par le Comité de droits de l’enfant dans le cadre des mesures spéciales de protection, afin de garantir le principe de non-discrimination à leur égard», a expliqué la spécialiste, étant donné que «les enfants migrants sont doublement vulnérables».
Ainsi, «le comité œuvre pour améliorer l’application de la CIDE, qui est un texte dynamique, qui suit l’évolution de la situation des droits de l’enfant, il formule des observations générales sur la protection des droits des enfants migrants et sur les obligations des Etats pour relever les carences et les difficultés». «Nous avons remarqué que la catégorie des 15-18 ans est la moins protégée, ce qui a conduit le Comité à rappeler le principe de non-discrimination, vu que les Etats doivent considérer les enfants dans un contexte de migration comme des enfants à part entière», a ajouté Hynd Ayoubi-Idrissi, qui a par ailleurs souligné l’importance que l’évaluation de leur situation se fasse de manière collégiale et au cas par cas.
«Ce n’est pas en confiant cette évaluation à un personnel du service migratoire qu’on peut estimer que les Etats respectent l’intérêt supérieur de l’enfant en cas d’expulsion par exemple. Il faut que toute mesure garantisse d’abord le droit à la vie. Toute décision prise pour l’enfant doit lui permettre aussi de donner son avis, en fonction de son niveau de maturité, dans un principe général.»Hynd Ayoubi-Idrissi
Des ruptures de protection des droits
Chargé de plaidoyer sur les questions relatives à la protection de l’enfance, la justice des mineurs et les enfants en situation de migration, UNICEF France, Corentin Bailleul a, dans ce sens, abordé la question des mineurs non accompagnés en France. «L’UNICEF porte une attention sur l’effectivité des droits des mineurs en migration depuis des années déjà, les mineurs non-accompagnés parmi eux, avec comme boussole la CIDE et son interprétation par le Comité des droits de l’enfant», a-t-il rappelé. «En France, on s’est beaucoup intéressé à la question en 2016 des mineurs isolés à Calais et progressivement le spectre a été élargi en réalisant un état des lieux continu et des propositions dans l’élaboration des politiques publiques», a déclaré le spécialiste.
Au 31 décembre 2020, dans les dernières données actualisées, autour de 25 000 enfants migrants seuls ont été comptés en France. «Ils représentent une part assez relative du nombre total de mineurs pris en charge, estimés à 350 000 environ, dont près de 193 000 accueillis en protection de l’enfance, en foyer, en famille d’accueil ou placés dans des structures dédiées», selon Corentin Bailleul.
En France, «la protection des mineurs isolés est intégrée dans le droit commun de la protection de l’enfance surtout depuis 2007, avec une loi qui reconnaît que le fait d’être mineur et sans représentants légaux sur le territoire français comporte une présomption de danger pour l’enfant et donc l’intervention de la protection de l’enfance est impérative», explique-t-il. «Quand on est mineur en France, on ne peut pas être en situation administrative irrégulière et un enfant n’est donc pas expulsable. Il n’est tenu de justifier de son séjour qu’à partir de 18 ans», a-t-il souligné.
«Les entraves aux droits fondamentaux des mineurs non accompagnés en France sont régulièrement relevées par le Comité des droits de l’enfants dans ses différents rapports périodiques tous les cinq ans. En février 2016, il s’est dit très préoccupé par la situation des mineurs non accompagnés sans protection et l’absence de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la phase d’évaluation.»Corentin Bailleul
En chiffres, la nationalité marocaine ne représente que 4,94% de celles des enfants étrangers seuls, ce qui est peu comparé à la Guinée (19,05%), la Côte d’Ivoire (13,45%), le Mali (12,86%) ou le Bangladesh (7,38%), a indiqué Corentin Bailleul. «On constate à l’UNICEF que le cadre normatif et les pratiques administratives judiciaires entravent des principes de droits contenus dans la CIDE», a-t-il rappelé. Aussi, «on remarque donc une rupture de protection qui se transforme parfois en parcours de non-protection : il y a une influence grandissante des logiques du contrôle migratoire, comme c’est le cas en Espagne et en Italie».
Rétablir le droit à l’identité
Dans la pratique, «arrivés sur le territoire, les mineurs non accompagnés peuvent être maintenus en zone d’attente pendant un délai de vingt jours : cet enfermement administratif est manifestement contraire à la CIDE, car la privation de liberté au motif du statut migratoire de l’enfant est toujours contraire à la convention», a rappelé le chargé de plaidoyer.
«La prise en compte des documents d’état civil est la meilleure façon de fiabiliser l’évaluation. C’est un document insuffisamment pris en compte et insuffisamment reconstitué, conformément au droit à l’identité dans l’article 8 de la CIDE est qui est une obligation des Etats. Pour l’heure, il n’y a pas encore assez de rapprochements auprès des autorités consulaires pour garantir ce processus.»Corentin Bailleul
Aussi, «lorsqu’ils sont interpellés à la frontière terrestre avec l’Espagne ou l’Italie, les enfants ne bénéficient pas toujours de la protection particulière prévue par la loi et associée à leur âge, tel que constaté par le Défenseur des droits et les autorités indépendantes», a rappelé Corentin Bailleul. De ce fait, «ils peuvent être expulsés, la minorité est remise en cause de manière courante et les renvois arbitraires sont plus fréquents». Dans les centres d’accueil, «on constate aussi une rupture de droits dans les accueils provisoires en attendant l’évaluation de la situation des enfants», notamment dans les cas de recours aux examens osseux.
Anthropologue et chercheuse à l’Université autonome de Madrid (Espagne) et au Centre transfrontalier pour l’action culturelle et la recherche sociale à Tanger, Mercedes Jiménez Alvarez, est revenue sur ce point à travers son travail académique et associatif entre les deux pays, afin de rétablir l’identité des enfants ayant migré sur la péninsule ibérique. Selon elle, «les politiques d’asile et de migration dans les pays d’accueil sont faites souvent de règlementations opposées au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’exigé par la CIDE». Ainsi, «toute la question est de trouver le moyen de concilier entre ces différentes dispositions afin de maintenir la primauté de la protection due à l’enfant».
«J’ai été en contact avec des mineurs de différents âges et de différentes régions du pays, ainsi que leurs familles. Nous ne sommes pas devant une réalité nouvelle. Mais dès les années 1990, il y a eu un grand intérêt porté aux enfants qui traversent seuls les frontières et on réalise qu’ils ont longtemps eu un traitement similaire à celui des adultes.»Mercedes Jiménez Alvarez
Pour la chercheuse, «il est important de croiser les données relatives à ces enfants et il faut dire qu’on est dans une situation complexe, car les profils de ces enfants sont très diversifiés, il y a eu des changements sociétaux dans leur pays et il faut accompagner toute cette évolution pour veiller toujours à garantir leur protection». Selon elle, «il faut se pencher aussi sur les raisons de cette migration : il y a aujourd’hui des enfants issus de milieux pauvres, mais aussi moyens et parfois plutôt aisés qui migrent».
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