AMBIANCE. La récente annonce de la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël a animé les discussions dans des lieux emblématiques.
Les réactions n’ont pas tardé dans la capitale économique du Maroc dès que la normalisation des relations avec Israël a été annoncée. « Tout le monde en parle, que ce soit nos clients juifs, qui représentent la moitié de notre clientèle, ou musulmans », affirme Kevin Fhal, 36 ans, petit-fils de la fondatrice de la boulangerie « Madame Fhal », institution célèbre pour ses pâtisseries casher et en plein rush en ce vendredi, lendemain de l’annonce du rétablissement des relations avec l’État hébreu. « Depuis la normalisation (avec Israël) annoncée par les Émirats arabes unis et le Bahreïn, c’était obligé qu’on soit sur la liste. Et finalement, c’est venu plus tôt que prévu », constate le commerçant déjà impatient de voir l’ouverture des liaisons aériennes directes vers Israël prévues par l’accord officialisé ce jeudi 10 décembre.
Un enthousiasme partagé
« Après l’annonce, toute la communauté juive du Maroc était en joie. C’est un geste très fort et très courageux de la part du roi Mohammed VI », lance une cliente quadragénaire venue chercher quelques hallah, pain consommé durant le shabbat. Cette Casablancaise qui préfère ne pas donner son nom estime que la décision « aura un impact positif sur les Marocains en général, pas que sur les juifs ». Mais elle s’inquiète depuis qu’elle a « fait un tour sur les réseaux sociaux » où les commentaires de certains l’ont « refroidie ». « J’ai peur que des manifestations éclatent, qu’un clivage se crée entre les communautés, que les malentendus prennent le pas », confie-t-elle. « Nous avons des relations très cordiales depuis fort longtemps. On n’a jamais eu de problèmes. On travaille ensemble dans le plus grand respect », tempère une des employées de la boulangerie, âgée d’une soixantaine d’années.
À la charcuterie « Amsellem », une autre institution culinaire du centre de Casablanca, dans le quartier qui abrite les derniers commerces juifs, le patron se dit lui aussi « très heureux » de l’évolution des relations entre son pays et Israël. Jacques Bitton « n’arrête pas de recevoir des appels de Marocains, juifs et musulmans, tous satisfaits de cette décision ». « J’ai de la famille en Israël, un cousin germain est dans le gouvernement. J’ai parlé avec lui, il était fou de joie », dit ce sexagénaire.
Un lien ancien officiellement revigoré
En Israël, les quelque 700 000 juifs d’origine marocaine ont souvent gardé des liens très forts avec le royaume, son dialecte darija, ses traditions culinaires et musicales. La plupart sont partis en famille au début des années 1950, après la création de l’État hébreu. À l’époque, le Maroc accueillait la plus importante communauté juive d’Afrique du Nord, de 250 000 à 300 000 âmes, selon les estimations. Il en resterait moins de 3 000 aujourd’hui.
« Qu’on nous permette à nous, juifs, qui sommes nés là-bas ou à nos enfants et nos petits-enfants de retourner sur cette terre où nos ancêtres ont vécu plus de 2 000 ans, c’est immense, c’est un grand jour », commente Avraham Avizemer, joint par téléphone à Cesarée, une petite ville de la côte israélienne. Originaire de Casablanca, ce septuagénaire entreprenant importe des produits marocains, propose des voyages organisés, écrit des livres sur les juifs marocains et a déjà visité « 401 fois » son pays natal que sa famille a quitté quand il avait trois ans. Lui aussi dit avoir « reçu plein de messages en arabe d’amis marocains » qui disaient « mabrouk » (félicitations) depuis l’annonce de l’accord de normalisation. « Il va y avoir des vols directs, plus besoin de passer par Istanbul, Rome, Paris, Madrid ou Amsterdam pour aller au Maroc, on gagne du temps. Et aussi de l’argent », jubile-t-il.
Actuellement, entre 50 000 et 70 000 juifs d’origine marocaine, la plupart en provenance de l’État hébreu partent chaque année au Maroc, en visite touristique, en pèlerinage ou pour des fêtes religieuses. « Les relations entre le Maroc et Israël avaient lieu dans les coulisses. C’était une sorte d’amour interdit, officialisé aujourd’hui », estime Fanny Mergui, ancienne cheville ouvrière de la jeunesse sioniste dans les années 1960. Cette juive marocaine qui se présente comme une « militante pour la paix israélo-palestinienne » regrette cependant que « les Palestiniens n’aient pas été impliqués dans ce processus ».
Par Le Point Afrique