Hier encore, le savoir n’était accessible qu’à quelques privilégiés qui maîtrisaient la lecture et l’écriture. Ils étaient admirés, respectés, adulés. Leurs paroles étaient attendues, appréciées et considérées comme La vérité.
Savoir lire donne un pouvoir, la clé magique de la porte du savoir pour se cultiver, s’instruire et trouver des réponses aux questions que se pose l’humanité.
La personne acquière al ‘ilm, le savoir, la connaissance, la science. Al ‘ilm vient de alima (savoir, connaître). Si al ‘alim signifie savant, nous l’utilisons aussi pour désigner des personnes qui détiennent, à un haut niveau, la connaissance du Coran et de l’Islam. Ceux qui étudiaient les sciences ou la religion jouissaient d’un titre honorifique: talib al ‘ilm.
Avec un niveau d’études moins élevé, il y a le fquih. Un homme, et non une femme, qui jouait un grand rôle dans la vie des citadins et surtout des ruraux.
Son pouvoir lui venait de son aptitude à lire et à expliquer le Coran. La population le respectait, le vénérait. Al ‘ilm nour, le savoir est lumière, dit-on.
Détenteur de lumière, le fquih éclairait les gens en religion, les soignait par le Coran en leur confectionnant des hjabes (talismans). Il les protégeait du mauvais œil et de la sorcellerie. Il écrivait et lisait le courrier. Il était nourri par la population qui lui offrait une épouse, du terrain… Parfois, après son décès, on en faisait un saint, vénéré de tous.
N’ayant pas accès à l’information à la source, la population analphabète croyait en tout ce que disait le ‘alime ou le fquih. Leurs paroles étaient considérées comme vrai, sorti du Coran, des hadith (paroles du Prophète) et de la science.
Le savoir était précieux car inaccessible. «allez chercher al ‘ilm jusqu’en Chine», a dit le Prophète. Or aujourd’hui, plus besoin d’aller en Chine! On appuie juste sur un bouton et Internet nous inonde de savoir.
Le savoir s’est banalisé, devenu à la portée de toute personne connectée. Hier encore, un chercheur devait courir les bibliothèques, les librairies, aller de ville en ville, sans être sûr du résultat. Aujourd’hui, un clic sur un clavier déclenche une avalanche d’informations. Une grande révolution dans l’accès au savoir.
Mais le web, cette mine d’or, était-il toujours utilisé à bon escient?
L’utilisation de réseaux sociaux s’est développée chez toutes les catégories de la population. Au Maroc, 92% de la population possède un smartphone: près de 28 millions d’internautes marocains, dont 7 sur 10 utilisent surtout WhatsApp.
WhatsApp est précieux pour le lien social. Téléphoner gratuitement! Une aubaine.
C’est aussi le moyen de véhiculer et échanger des informations. Mais sont-elles toujours crédibles?
La majorité de la population leur accorde une confiance aveugle. Analphabète ou à peine lettrée, elle n’a pas la capacité du discernement et gobe toute information, sans en vérifier la source, la fiabilité.
Avant, les gens disaient pour certifier une information transmise de bouche à oreille, «Wa Allah, madkora», citée dans le Coran. Ce pouvait être vrai ou faux. Aujourd’hui, on considère le web comme une source sacrée «Wa Allah, je l’ai vu dans WhatsApp». Même des gens instruits se laissent berner. Une amie: «une femme a accouché de 18 enfants». « Impossible». «Je te jure. C’est dans WhatsApp». «Non, pas toi. Tu es instruite. Si tu crois qu’un utérus peut contenir 18 bébés et que tu partages l’information, tu entretiens et tu cautionnes la bêtise et l’ignorance!».
Avant, on cherchait l’information pour s’instruire; aujourd’hui beaucoup cherchent le sensationnel: calomnie, diffamation, scandale, insolite, vie privée d’autrui…
Et que d’internautes se prennent pour des savants, détenant la connaissance universelle! Ils se permettent, avec arrogance, de réfuter le savoir et l’expérience de spécialistes. N’importe qui s’improvise spécialiste et poste des vidéos pour faire le buzz, déstabiliser, créer la panique, ou juste faire l’intéressant.
Dans ce cas, le web, censé être une source de nour (lumière), devient celle de addalame (ténèbres)! Il produit de l’ignorance.
Savez-vous qu’il y a une industrie culturelle de l’ignorance, appelée agnologie. L’agnologie est la science de l’ignorance. Elle étudie les formes de l’ignorance, les conditions sociologiques et politiques de sa production, son entretien et sa diffusion.
Si la connaissance est un pouvoir, l’ignorance le devient également, utilisée pour étouffer la vérité, véhiculer des idéologies, inciter à des comportements… Bref, désinformer le public pour le manipuler.
Avec la pandémie, la production de l’ignorance a atteint son apogée. L’anarchie domine le contenu et l’utilisation du web.
Les plateformes doivent prendre leur responsabilité en contrôlant et en régulant.
Les Européens reçoivent plus de 29 milliards de désinformation par an! Pas de chiffre au Maroc. Mais les auteurs de désinformation encourent des peines de prison allant jusqu’à trois ans et des amendes. Mais il faudrait sévir davantage.
Les analystes estiment qu’on est entré dans une ère de post-vérité! D’où l’importance du doute, de la critique, de la remise en question, du contrôle… Des outils indispensables à l’internaute pour ne pas s’abrutir et abrutir. Alors restons vigilants pour ne pas contribuer à l’ignorance qui, dit-on, est la source de tous les vices.