Les adolescents « baignent » dans la violence, « ils en parlent tous », a assuré sur franceinfo Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste, responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Il est revenu sur la mort d’Alisha, 14 ans, poussée dans la Seine par deux camarades sur fond de harcèlement, le 8 mars. « Je crois qu’il y a pas un adolescent qui n’échappe pas à un moment ou un autre à des inquiétudes, voire à une angoisse très forte autour de ce qui se joue sur les réseaux sociaux », relate Serge Hefez.
Pour le psychiatre, les adolescents sont confrontés de plus en plus jeunes à la violence mais l’épidémie accentue le phénomène : « On est dans une vague psychiatrique qui est liée à l’épidémie, explique Serge Hefez. Il y a beaucoup d’angoisse et de stress, de dépressions pour les jeunes et leurs parents ». Il évoque aussi « une augmentation extrêmement forte de la violence conjugale et familiale, une augmentation des consommations d’alcool, de tranquillisants, etc. Donc, tout cela est un climat dans lequel baignent les jeunes et ceux qui ont déjà une petite aptitude aux théories du complot ou à la violence, et bien cette violence explose parfois », poursuit le psychanalyste.
Liens entre violence et pandémie
« Au-delà des questions de harcèlement, il y a des explosions de violence de plus en plus fortes qui ont lieu partout. Sans vouloir excuser ces jeunes, cela me paraît difficile de ne pas lier ce climat particulièrement anxiogène à l’épidémie de Covid. On sait depuis le Moyen-Âge et l’épidémie de peste, à quel point les épidémies sont propices à la fois à la violence et à la désignation de boucs émissaires », insiste Serge Hefez.
En parallèle de l’angoisse ressentie à cause de la pandémie, les jeunes se retrouvent moins en contact avec les autres : « Avec les différents confinements et les couvre-feux, les jeunes sont beaucoup plus chez eux et donc beaucoup plus isolés. Ils sont donc beaucoup plus confrontés aux écrans encore qu’en temps ordinaire : ils vont avoir tendance à voir certaines images en boucle et à n’avoir comme liens sociaux que ces liens virtuels », détaille le psychiatre.
Ces contacts virtuels « déshumanisent, parce qu’on n’est pas dans le contact charnel avec l’autre. Et donc l’autre perd un peu sa qualité d’être humain », analyse le psychiatre. Ce contexte favorise « la circulation de secrets, les alliances entre les uns et les autres qui peuvent monter en épingle. Deux personnes peuvent se trouver liées, par exemple, par un pacte extrêmement violent qu’elles vont mettre en acte à l’extérieur », poursuit Serge Hefez.
Améliorer la communication
Loin d’arrêter de faire cas de ces drames dans les médias, le psychiatre suggère plutôt que de simplement rapporter les faits, de « parler quasiment tous les jours des questions de harcèlement : il y a une vraie prévention à faire auprès des jeunes et des établissements pour mettre des mots sur ce que vivent les jeunes au quotidien. Or, on a le sentiment quand même que le harcèlement a un côté encore un petit peu secret, un peu honteux ». En parler davantage permettrait « de mettre beaucoup plus de mots dessus et de permettre aux jeunes de peut-être en parler davantage », conclut Serge Hefez.
Analyse Serge Hefez / France Tech