Editorial. Si l’état d’une société se lit au travers du ressenti de sa jeunesse, l’enquête publiée jeudi 3 février par les sociologues Olivier Galland et Marc Lazar pour le compte de l’Institut Montaigne est à la fois réconfortante et inquiétante..
Ainsi, 80 % des 18-24 ans s’y déclarent heureux, une forme d’exploit par ces temps de Covid. La défense de l’environnement, qui est aujourd’hui leur grande cause, commence à infuser lentement dans l’ensemble de la société, la preuve qu’on les écoute. Leur rapport au travail, davantage axé sur l’accomplissement d’une passion que sur la quête de sécurité, est en rupture avec ce que recherchaient leurs aînés, le signe que quelque chose est en train de changer.
Ce qui bloque, en revanche, c’est le levier pour accomplir leur rêve. La démocratie représentative, telle qu’elle fonctionne, les concerne de moins en moins. Elle semble même leur tourner dangereusement le dos : 55 % d’entre eux se disent incapables d’indiquer leur préférence partisane, soit parce qu’ils ne connaissent pas assez les partis (36 %), soit parce qu’aucun ne correspond à leur choix (19 %).https://ec2c6a9a5bbbf206103b4295b8b9c0e8.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
Cette déception ne date pas d’aujourd’hui. Elle est à relier à la crise des organisations politiques, au déclin des idéologies, à la difficulté des gouvernants à tenir leurs promesses. Elle n’est pas exclusive non plus. Elle frappe toutes les générations, mais apparaît particulièrement préoccupante chez les jeunes, qui n’ont pas le passé politique de leurs aînés. Elle nourrit l’abstention dans une catégorie qui vote déjà peu.
Inégalités sociales et culturelles
Plus grave encore, elle débouche sur un détachement à l’égard de la démocratie. Certes, 69 % des 18-24 ans estiment que voter reste un moyen de faire changer les choses, mais près de la moitié ne considèrent pas comme « très important » de vivre dans un pays gouverné démocratiquement. Sur ce doute se greffe une sorte de légitimation de la violence politique : presque un jeune sur deux estime compréhensibles les marques d’agressivité à l’encontre des élus et pas loin d’un sur cinq trouve acceptable de dégrader un espace ou un établissement publics.
Cette crise de la démocratie représentative est grave. Elle appelle des réponses vigoureuses qui doivent aller bien au-delà des mesures symboliques qui sont actuellement mises en débat dans la campagne présidentielle, comme l’octroi du droit de vote à 16 ans. L’un des principaux enseignements de l’enquête est de montrer qu’il n’y a pas une mais des jeunesses, essentiellement fracturées par les inégalités sociales et culturelles.
Pour les quelque 39 % de jeunes bien intégrés, qui ont envie de s’engager démocratiquement mais ne trouvent pas aujourd’hui de canal pour le faire, le développement de la démocratie participative, via les conventions citoyennes, peut constituer une réponse convaincante. Nombre de jeunes femmes fortement mobilisées sur les sujets de l’environnement ou de la réduction des inégalités cherchent actuellement le moyen de faire aboutir leur combat sans adhérer à un parti ou à une association. Des formes nouvelles d’engagement sont à développer.
Mais, pour les autres, qui se vivent comme des désengagés, des révoltés ou des intégrés transgressifs, le sujet central est bien l’école, qui, en l’état actuel, ne parvient pas à donner sa chance à tous. Les auteurs mettent notamment en exergue une petite minorité de jeunes de confession musulmane dont les études ont été éprouvantes, qui a le sentiment d’évoluer dans une société hostile, voire raciste, et qui justifie plus que d’autres le recours à la violence. Absent jusqu’à présent de la campagne présidentielle, le sujet de l’intégration devrait pourtant supplanter tous les autres.