REPORTAGE. Alors que l’hiver approche, le pays plonge dans une routine de huit à douze heures de coupure de courant par jour qui n’épargne pas les musulmans.
Quartier de Crosby, à Johannesburg, à majorité musulmane. Un soleil de feu s’apprête à se coucher sur la mosquée Masjid Muaaz bin Jabal et ses deux minarets blancs, tandis que les croyants se pressent pour la prière à l’appel du muezzin. Certains ont pris un casse-croûte, prêts pour l’iftar. Le ramadan se termine dans quelques jours, et cette année il aura apporté son lot de sacrifices supplémentaires : avec la crise énergétique qui empire de mois en mois, les coupures de courant sont de plus en plus longues et fréquentes. Elles sont planifiées par tranches de deux à quatre heures et peuvent être très handicapantes pour les musulmans qui pratiquent le jeûne sacré. « Nous avons treize heures de jeûne pendant la journée. Alors, s’il y a une coupure de courant avant 5 heures du matin, on doit manger froid et c’est plus difficile de passer la journée, » explique Hammad, ingénieur pour une entreprise de téléphonie.
Manger froid avant le jeûne
Le sehri – repas du matin pendant le ramadan – est aussi le plus compliqué à gérer pour Zahrah Singh, data scientifique de 25 ans. « Normalement, je prends une tasse de thé chaud avec mon sehri mais je n’ai pu le faire que cinq fois ce mois-ci. Le ramadan a été complètement différent cette année car les délestages ne sont d’habitude pas si importants. Étant une jeune professionnelle qui vient de quitter la maison familiale, je n’ai pas les moyens de m’offrir les options alternatives du solaire ou de la cuisinière à gaz. Donc je dois aussi souvent rompre le jeûne en prenant un repas à emporter, et ça me coûte cher. » Certaines femmes se plaignent aussi d’avoir des difficultés à naviguer autour des coupures pour la préparation des repas, sans que cela affecte leurs prières. Sur les réseaux sociaux, plusieurs appellent l’entreprise nationale de production d’électricité Eskom à tenir compte du ramadan dans ses plannings de délestage, en épargnant les heures précédant l’aube et le coucher de soleil. Des appels demeurés lettre morte alors que la communauté musulmane ne représente que 1,5 % de la population.
Les coupures ne gênent pas que les repas, mais aussi les ablutions rituelles avant chaque prière, explique Faizal Suffla, barbe et kufi blancs. Certains habitants se trouvent momentanément privés d’eau par les pompes à l’arrêt, tandis que d’autres ne peuvent pas la réchauffer. « La mosquée dispose d’un générateur, mais tout le monde ne peut pas venir se laver ici. Et beaucoup de fidèles, notamment les femmes, font leurs prières à la maison. » Certaines parties du quartier sont parfois privées d’électricité pendant plusieurs jours d’affilée à cause de dysfonctionnements.
Résilience
Riaz Nabee, homme imposant drapé dans un qamis (tunique longue) blanc, garde le sourire. « Tout est question de préparation. Il faut encore plus que d’habitude anticiper, mais les délestages ne datent pas d’hier. » Lui-même a décidé de s’affranchir en partie des contraintes du réseau électrique en installant des panneaux solaires sur sa maison. « Ça fonctionne moins la nuit, forcément, mais c’est déjà un grand soulagement. »
Islamic Relief South Africa, ONG d’assistance aux populations déshéritées, a publié un guide sur son site à l’attention des croyants pour les aider à appréhender le jeûne sacré dans les périodes de délestage. « Le ramadan apporte la lumière quand Eskom l’a enlevée », introduit l’article avec humour. Parmi les recommandations : télécharger le coran sur son téléphone pour ne pas être embêté par l’obscurité, garder de l’eau chaude dans un thermos pour les ablutions matinales, profiter des coupures pour manger chez les uns et les autres selon le planning du jour et, bien sûr, « se tourner vers Allah ».
Ainsi que le conclut l’imam d’une autre mosquée : « le mois de ramadan est un mois de sacrifices. Nous sommes habitués à gérer ce genre de situation, nous faisons avec. »
Par notre correspondante à Johannesburg, Joséphine Kloeckner – Le Point Afrique