Alors que sort sur les écrans le film de Ridley Scott, précédé de critiques plutôt sévères en France, nous avons demandé à un cinéaste familier de l’empereur – puisqu’il a restauré le légendaire « Napoléon » d’Abel Gance – de nous donner ses sentiments, qui sont très partagés, sur cette nouvelle évocation du destin hors du commun de Bonaparte.
Le Britannique Ridley Scott ajoute son nom à la longue liste des cinéastes ayant mis en scène Napoléon. C’est l’acteur oscarisé Joaquin Phoenix qui endosse le costume du célèbre empereur français dans ce film de petit maître qui se fiche éperdument de son sujet.
1793. Marie-Antoinette se fait guillotiner sous les yeux d’une foule en liesse et d’un jeune lieutenant: Napoléon Bonaparte (Joaquin Phoenix). Aspirant à rejoindre les destinées de César et d’Alexandre Le Grand, le Corse un rien mégalo prouve ses talents stratégiques en libérant Toulon du joug des Anglais.
Promu général, Napoléon devient une figure majeure de la politique française après la Terreur. Sa rencontre avec Joséphine de Beauharnais (Vanessa Kirby) scelle un amour passionnel et conflictuel qui guidera la vie du futur empereur jusqu’à sa mort, en 1821, après six années d’exil sur l’île Sainte-Hélène.
Une scène du film « Napoléon » de Ridley Scott. [Sony Pictures]
Une enfilade de séquences
Les historiens ont déjà aboyé contre les erreurs historiques de ce « Napoléon », fresque à la fois spectaculaire et intimiste. On est en droit d’ignorer leurs remontrances pour se focaliser sur la vision d’un cinéaste sur un personnage iconique. Bref, s’intéresser au film, rien qu’au film, d’autant plus prometteur que Ridley Scott a débuté sa carrière avec l’extraordinaire « Duellistes » (1977), récit de la folie vengeresse d’un lieutenant pendant les guerres napoléoniennes, et qu’il a porté un regard singulier sur la Rome antique (« Gladiator »), la découverte de l’Amérique (« 1492: Christophe Colomb ») et les croisades (« Kingdom of Heaven »).
Mais au bout d’une heure de ce « Napoléon » qui ressemble à une enfilade de séquences expédiées comme autant de boulets de canon, on en vient à sérieusement se demander ce qui a intéressé le réalisateur dans ce projet.
Une interminable partie de « Risk »
Si l’on ne peut nier le savoir-faire de Ridley Scott, les scènes de bataille sont grandioses, l’image est soignée, le travail d’artisan est indéniable, on reste bien plus sceptique sur l’intérêt de ce « Napoléon » qui fait défiler les scènes et les personnages comme on feuillette un album d’images dénué de chair et de cœur. Le cinéaste tente de tout faire rentrer dans ses deux heures quarante-cinq insuffisantes à contenir l’existence entière de Bonaparte. Austerlitz, le siège de Toulon, la campagne d’Egypte, Waterloo: les moments forts se succèdent sans regard fort et laissent le sentiment d’un cinéaste en train de jouer en solitaire à une interminable partie de « Risk ».
On se raccroche alors à autre chose. Une vision de Napoléon Bonaparte originale et captivante? On aura vaguement droit au portrait d’un adolescent attardé, piètre amant, génie stratégique et mégalomane patenté, que Joaquin Phoenix incarne avec des moues apathiques au moment de diriger ses troupes sur les champs de bataille (un doigt en l’air et les canons tirent, un léger signe de la main et la cavalerie déboule, un froncement de sourcil et les fantassins chargent). A ce stade, on se dit que Ridley Scott n’en a strictement rien à faire de son héros négligé.
Beaucoup de bruit pour rien
On se tourne vers le fil rouge annoncé de ce « Napoléon »: l’amour obsessionnel que Bonaparte porte à la femme de sa vie, Joséphine, restitué par les échanges épistolaires lus en voix off à intervalles réguliers par les principaux intéressés. Mais entre les problématiques de fidélité, de procréation, de dépendance réciproque et de domination mutuelle, cette relation censée être le coeur du film accouche d’une représentation à l’écran plus théorique qu’incarnée, Ridley Scott traitant par-dessus la jambe la mort de Joséphine.
Quant à une quelconque dimension politique, sur une France déchirée de toute part, sur la soif belliqueuse et colonialiste de Bonaparte (la fin du film nous rappelle qu’il a initié 61 batailles, causant trois millions de soldats morts), sur les résonances du personnage avec une quelconque figure contemporaine, on aura beau fouiller, en vain, contraint de se dire que Ridley Scott a tourné en pilotage automatique une œuvre qui n’a rien d’autre à dire que sa propre autosuffisance.
Beaucoup de bruit pour pas grand-chose avec ce « Napoléon » qui sera diffusé dans quelque temps, dans une version longue, sur la plateforme d’Apple TV+, coproductrice du film. Désolé, on aura piscine.
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