Bélarus – Pologne : Abus et refoulements à la frontière

La crise se déroulant à la frontière entre le Bélarus et la Pologne conduit à de graves violations des droits humains commises à l’encontre des migrants et des demandeurs d’asile par les deux gouvernements, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport diffusé aujourd’hui.

Le rapport de 26 pages, intitulé «‘Die Here or Go to Poland’: Belarus’ and Poland’s Shared Responsibility for Border Abuses »  Meurs ici ou va en Pologne” : Responsabilité partagée du Bélarus et de la Pologne concernant les violations de droits humains à la frontière »), documente les graves violations de droits humains commises des deux côtés de la frontière. Des personnes prises au piège à la frontière entre le Bélarus et la Pologne ont indiqué avoir été repoussées, parfois violemment, vers le Bélarus, par les gardes-frontières polonais malgré leurs supplications de pouvoir déposer une demande d’asile. Du côté biélorusse, les témoignages de violence, de traitements inhumains et dégradants et de coercition par les gardes-frontières biélorusses sont courants.

« Bien que le Bélarus ait orchestré cette situation sans égard pour les conséquences humaines, la Pologne partage la responsabilité de l’énorme souffrance infligée dans la zone frontalière » a déclaré Lydia Gall, chercheuse senior auprès la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Des hommes, des femmes et des enfants sont victimes de refoulement sous forme de ping-pong de part et d’autre de la frontière depuis des jours et des semaines par des températures glaciales, sans que puisse leur parvenir l’aide humanitaire bloquée des deux côtés et dont ils ont désespérément besoin. »

Human Rights Watch a enquêté dans les deux pays en octobre 2021 et a mené des entretiens détaillées avec 19 personnes, dont des hommes seuls, des familles avec enfants et des femmes voyageant seules.

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Piégées côté biélorusse, bloquées ou perdues côté polonais, les personnes ont fait des récits déchirants de leur marche à travers forêts, marais, marécages, et rivières par des températures glaciales pendant des jours et même des semaines, sans nourriture ni eau. Certaines ont dit avoir été contraintes de boire de l’eau des marais ou recueillie dans des feuilles. Au moins 13 personnes sont mortes en raison de ces conditions inhumaines, dont un petit garçon syrien âgé d’un an.

Un homme de 35 ans originaire de République démocratique du Congo et voyageant avec sa femme et 3 enfants, tous âgés de moins de 7 ans, a indiqué que sa famille avait été repoussée deux fois en octobre par les gardes-frontières polonais. Il a relaté qu’au cours du deuxième incident, il avait supplié les gardes polonais de lui laisser demander l’asile mais ils refusaient de l’écouter : « Ils m’ont dit “Il n’y a pas d’asile, il n’y a rien, retournez d’où vous venez !” Ils [nous ont emmenés dans des camionnettes] et nous ont fait retourner au Bélarus, dans la zone neutre. »

La situation d’impasse de la mi-novembre au poste frontalier de Bruzgi où étaient piégés des milliers de personnes est le point culminant d’une série d’événements survenus depuis mai dernier à la suite de l’interception par le Bélarus d’un vol Ryanair pour arrêter un passager. Cette arrestation a déclenché des sanctions de l’Union européenne contre le Bélarus auxquelles le président du Bélarus Alexandre Loukachenko, a répondu en déclarant qu’il ouvrirait la frontière du Bélarus aux migrants, en facilitant l’obtention de visas.

Depuis août, des milliers de personnes, notamment des Syriens, des Iraquiens et des Yéménites se sont rendus à Minsk, capitale du Bélarus , par l’intermédiaire d’agences de voyage basées au Moyen-Orient leur faisant faussement miroiter une entrée facile dans l’Union européenne.

Trois personnes ont rapporté à Human Rights Watch que les gardes-frontières polonais avaient séparé leur famille, y compris des parents de leurs enfants lorsqu’ils ont emmené à l’hôpital ceux qui avaient besoin de soins médicaux pendant qu’ils renvoyaient les autres membres de la famille vers le Bélarus. Une Syrienne qui, selon les gardes-frontières polonais, nécessitait des soins médicaux, a été séparée fin octobre de son fils de 5 ans, qui, avec le reste de la famille, a été repoussé vers le Bélarus. Toujours en Pologne, elle n’a eu aucun contact avec sa famille depuis leur séparation.

En réponse à une lettre de Human Rights Watch, les autorités polonaises ont nié qu’elles pratiquaient des refoulements, séparaient les familles ou refusaient de prendre en considération les demandes d’asile. Elles ont cependant affirmé, en citant un récent amendement de la loi polonaise, que les autorités frontalières étaient autorisées à renvoyer sur le champ les personnes qui traversaient illégalement la frontière et, qu’en date du 17 novembre 2021, les autorités frontalières avaient empêché 29 921 passages illégaux de la frontière cette année.

Les personnes interviewées nous ont déclaré qu’à la suite des refoulements par les Polonais, les gardes-frontières biélorusses les ont détenues et soumises à des violences dans des « sites de rassemblement », espaces ouverts où les migrants étaient rassemblés et coincés sans nourriture, eau ou toit et empêchés de retourner à Minsk ou dans leur propre pays. Les autorités biélorusses n’ont pas répondu à une demande de Human Rights Watch de commenter ces informations.

Jusqu’au 18 novembre, des milliers de personnes massées du côté biélorusse dormaient dans des camps de fortune à Bruzgi, l’un des principaux points de passage frontaliers. Les autorités biélorusses ont démantelé le camp et auraient relogé une partie d’entre elles dans un hangar à proximité mais on ignore où et dans quelle situation se trouvent les personnes qui étaient dans le camp improvisé.

Les autorités biélorusses et polonaises ont l’obligation d’empêcher tout nouveau décès en garantissant un accès humanitaire régulier aux personnes coincées dans la zone frontalière a déclaré Human Rights Watch. Les deux pays devraient aussi cesser immédiatement leur ping pong de refoulements  et permettre à des observateurs indépendants, y compris des journalistes et des personnes des organisations de défense des droits humains, d’accéder aux régions frontalières actuellement interdites d’accès. En août et septembre, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a ordonné à la Pologne de fournir nourriture, eau, vêtements et soins médicaux adéquats, et si possible, des abris temporaires aux personnes se trouvant à la frontière. La CEDH n’a pas compétence sur le Bélarus.

Les abus par le Bélarus contre les personnes à sa frontière constituent au minimum des traitements ou des châtiments inhumains et dégradants qui peuvent, dans certains cas, constituer de la torture en violation des obligations juridiques internationales du Bélarus. Les autorités devraient immédiatement mettre fin à ces pratiques abusives et faire rendre des comptes aux responsables de ces abus.

Les pratiques de refoulement des gardes-frontières polonais violent le droit d’asile selon la législation de l’UE, dont la charte des droits fondamentaux, créent un risque de refoulement en chaîne contraire au droit international des réfugiés et exposent les personnes à des conditions inhumaines et dégradantes, en violation de la loi polonaise et de l’UE.

La Commission européenne ne s’est pas exprimée publiquement sur la responsabilité de la Pologne relative aux abus et à la crise humanitaire à sa frontière, ni appelé clairement la Pologne à arrêter d’interdire aux médias et aux groupes humanitaires l’accès aux lieux où se déroulent les abus.

« La Commission européenne devrait commencer à se montrer solidaire des victimes qui souffrent et meurent des deux côtés de la frontière », a conclu Lydia Gall. « Le Bélarus a peut-être orchestré la crise, mais cela ne dispense en rien la Pologne et les institutions de la Commission européenne de respecter leurs propres obligations en matière de droits humains. Bruxelles devrait pousser Varsovie à placer la préservation de la vie humaine au cœur de sa réaction. »

World Opinions – Human Rights Watch

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