Des procédures trop complexes, des conditions d’accueil défaillantes, un droit des étrangers illisible, des juridictions débordées… Le rapport du Sénat « Services de l’État et immigration : retrouver sens et efficacité », qui sera rendu public vendredi, dresse un constat sévère de la gestion de l’immigration en France.
« Il faut tout remettre à plat ». François-Noël Buffet, le président de la commission des lois au Sénat et rapporteur du document « Services de l’État et immigration : retrouver sens et efficacité« , estime que la gestion de l’immigration en France est défaillante à tous les niveaux : procédures complexes, dématérialisation inefficace, manque de personnel, ou encore expulsions non-appliquées. Il préconise de repenser complètement le système.
« Avec mes collègues de la mission d’information, on savait que ça n’allait pas mais on n’imaginait pas que c’était à ce point-là », affirme le sénateur LR à InfoMigrants, dont le rapport sera rendu public vendredi 13 mai.
Le droit des étrangers, compliqué et inextricable
Depuis 2005, le code des étrangers a été modifié plus de 130 fois, selon François-Noël Buffet. Les critères pour obtenir un titre de séjour, le mode de procédure pour les retours volontaires ou forcés… peuvent changer d’une année sur l’autre. Un véritable casse-tête pour les professionnels mais aussi pour les étrangers eux-mêmes.
« Les juges qu’on a rencontrés nous ont dit qu’ils ont parfois du mal à s’y retrouver », rapporte le président de la commission des lois. « Et nombre d’étrangers ne comprennent pas le système. Tout cela est kafkaïen. Les règles doivent être plus simples, plus claires et plus précises, que chacun sache comment faire ».
Les limites de la dématérialisation des titres de séjour
Le rapport pointe les difficultés engendrées par la dématérialisation des demandes de titres de séjour. Depuis 2020, les étrangers ne peuvent plus se présenter spontanément pour obtenir leurs papiers. Tout se fait désormais en ligne.
Les sénateurs reconnaissent que la suppression des longues files d’attente devant les préfectures est une avancée positive. Cependant, comme InfoMigrants l’a plusieurs fois indiqué, les personnes ne parviennent pas à trouver un rendez-vous sur Internet et passent leurs journées et leurs nuits à tenter leur chance en ligne. Certains étrangers mettent plusieurs mois à obtenir un entretien.
La commission explique ces dysfonctionnements par un nombre insuffisant de créneaux destinés aux titres de séjour. Résultat : un marché parallèle de revente d’entretiens s’est développé. « Des individus peu scrupuleux captent les rendez-vous disponibles afin de les revendre ensuite de façon parfaitement illégale aux étrangers, à des tarifs allant de 20 à 600 euros », peut-on lire dans le rapport, que s’est procuré en exclusivité Le Figaro.
« La dématérialisation est une bonne idée mais il faut se donner les moyens de faire fonctionner le dispositif correctement. Pour cela, il faut plus de personnel aux guichets afin de recevoir plus rapidement les personnes et mieux les accompagner dans leurs démarches. Sinon, la machine se grippe et les gens deviennent sans-papiers, car les délais d’attente les poussent à être en situation irrégulière », constate François-Noël Buffet.
Pluie de requêtes en justice
L’absence de créneaux en ligne provoque une pluie de contentieux, pour « beaucoup favorables aux demandeurs », et « sature les juridictions administratives », déjà débordées.
En 2021, 100 000 requêtes ont été introduites en justice, soit 40% de l’activité totale des tribunaux administratifs, selon le rapport. La majorité des actions portent sur l’incapacité de l’administration à traiter les demandes dans un délai raisonnable.
« On assiste à un effet boomerang : les tribunaux ordonnent des prises de rendez-vous, les préfectures dégagent des plages horaires et décalent les autres créneaux déjà réservés pour des personnes… Voilà comment le système devient fou », analyse le sénateur.
L’échec du règlement de Dublin
Le rapport relève aussi les failles du règlement de Dublin, selon lequel un exilé doit déposer sa demande d’asile dans le premier pays d’arrivée en Europe (généralement la Grèce, l’Espagne ou l’Italie).
Sur les 100 000 demandeurs d’asile qui arrivent chaque année sur le territoire français, un tiers est sous le coup d’une procédure Dublin. Mais selon le document, en 2021 « moins de 3 000 demandeurs sont transférés chaque année vers l’État membre responsable de l’examen de sa demande d’asile ».
L’État peine donc à faire appliquer les transferts Dublin et les migrants concernés errent pendant 18 mois en France avoir de pouvoir déposer un dossier en France. Beaucoup d’entre eux viennent grossir les campements du nord de Paris.
Les sénateurs proposent d’abandonner ce principe de responsabilité du pays de première arrivée, et d’appliquer une « plus grande convergence » entre États membres sur les décisions d’asile. En clair, faire en sorte que si une personne est déboutée dans un pays européen, elle ne puisse pas redemander la protection dans un autre.
Une politique d’éloignements forcés inefficace
Le taux d’exécution des éloignements forcés a fortement baissé en 10 ans. Il était de 22% en 2012, contre 5,7% au premier semestre 2021. Et ce alors que le nombre de mesures prononcées en faveur d’un renvoi du territoire français ne cesse lui d’augmenter.
L’an dernier, la France a délivré 143 226 mesures d’éloignements, pour un taux d’exécution de 9,3% (contre 15,6% en 2019).
« La mise en œuvre d’un éloignement s’apparente le plus souvent à un parcours semé d’embûches », résume le rapport.
Le principal obstacle à ces renvois réside dans le manque de coopération des pays d’origine. Les États, principalement du Maghreb, rechignent à délivrer des laissez-passer pour récupérer leurs ressortissants. Et sans accord des « pays sources », les étrangers en situation irrégulière ne peuvent être expulsés du territoire français.
François-Noël Buffet préconise de durcir les contraintes, notamment la technique du « zéro laissez-passer, zéro visa ». « On ne peut pas faire l’économie de cet effort, sinon on ne renvoie personne. Cela nourrit les rancœurs de la population à l’égard des étrangers et cela nuit à ceux qui vivent chez nous de manière légale ».
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