Accusé de viols, le maire de Ziguinchor et principal opposant à Macky Sall ne s’est pas présenté devant les juges, qui ont renvoyé le procès au 23 mai.
Habillée d’une élégante robe blanche brodée de fleurs, Adji Sarr est arrivée d’un pas confiant dans la salle 4 du palais de justice de Dakar, au Sénégal, mardi 16 mai. La plaignante était très attendue. Depuis qu’elle a porté plainte contre Ousmane Sonko, le principal opposant au président Macky Sall, pour viols en février 2021, elle est au centre des attentions. M. Sonko, lui, était absent, toujours reclus dans sa maison de Ziguinchor, la capitale de la Casamance, dont il est maire et où il s’est installé depuis quelques jours. Il a décidé de défier les autorités sénégalaises, refusant de se plier à ses convocations.
Très attendue, l’audience n’a pourtant duré que quelques minutes. Le juge a rapidement renvoyé le procès au 23 mai, provoquant l’agacement des parties civiles. « Cela fait plus de deux ans qu’on est prêt. Il faut qu’on en finisse ! », s’est insurgé à la barre El Hadj Diouf, l’avocat d’Adji Sarr. Les avocats de M. Sonko, eux, plaidaient pour un renvoi plus lointain afin d’avoir le temps d’étudier le dossier, « qui fait plus de 470 pages ». Le président de la chambre criminelle de Dakar a confirmé sa décision de « renvoyer à huitaine ».
L’opposant changera-t-il alors de stratégie et se présentera-t-il devant le tribunal de Dakar ? « Nous ne nous opposons pas à comparaître si les conditions de sécurité et de respect de la dignité humaine sont réunies et que cessent les brimades, les violences et les barricades », a assuré Bamba Cissé, son avocat, à la sortie du tribunal. « Le juge va confirmer s’il le laisse en liberté ou s’il ordonne la prise de corps, c’est-à-dire s’il décide ou non de le mettre en prison tout au long du procès. Aux autorités ensuite d’assumer leurs responsabilités », a poursuivi Me Cissé, qui plaide tout de même pour sa venue.
Une arrestation d’Ousmane Sonko, très populaire parmi les jeunes, fait craindre des violences. A la veille de l’audience, lundi, des échauffourées ont éclaté à Ziguinchor et dans plusieurs quartiers de Dakar pour « faire bouclier » face à une éventuelle interpellation dont le but serait de le contraindre à comparaître. Selon le ministère de l’intérieur, deux jeunes sont décédés, l’un à Dakar « par arme blanche » et l’autre, « encore non identifié », à Ziguinchor. Un policier est aussi mort après avoir été touché par un véhicule des forces de sécurité lors d’opérations de rétablissement de maintien de l’ordre.
Adji Sarr « zen et courageuse »
Dans un communiqué, le ministre de l’intérieur a « exhorté vivement les parents à éviter que leurs enfants ne participent à des manifestations violentes, car elles sont souvent le terrain de prédilection d’individus malveillants qui en profitent pour commettre des agressions, des viols, des pillages et autres actes de vandalisme ».
El Malick Ndiaye, secrétaire à la communication des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, le parti de M. Sonko), continue d’appeler à la « résistance » et exige « la démission du président Macky Sall » face au décès de victimes « par balles réelles », selon lui.
« Pourquoi créer des morts, incendier des bus et des maisons ? Cette affaire n’a rien à voir avec les élections, c’est un procès entre un homme et une femme, chacun doit venir avec ses preuves et le tribunal va trancher », s’indigne Me Diouf. Il assure que sa cliente « est prête à en découdre » avec M. Sonko devant la chambre criminelle. « Nous aurions aimé l’avoir en face et assister à une confrontation », lance l’avocat, qui assure qu’Adji Sarr est « zen et courageuse ».
Ousmane Sonko, candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2024, dénonce derrière cette affaire judiciaire un complot pour l’écarter de l’arène politique. Une condamnation pourrait le rendre inéligible, tout comme un jugement par contumace.
Regroupées au sein d’un groupe de facilitation, des personnalités de la société civile prônent un dialogue politique inclusif et appellent à « la désescalade afin de préserver les fondamentaux et valeurs de la République, garants de la cohésion et de la paix sociales », indique un communiqué. Des « rencontres et concertations avec les autorités religieuses, les acteurs politiques, la société civile ainsi que les organisations socioprofessionnelles » vont continuer « en vue de contribuer à la paix, à la sécurité et à la stabilité de plus en plus menacée » dans le pays.
Par Théa Ollivier – Le Monde Afrique