Si la fédération du golfe Persique a décidé de sauter le pas de la reconnaissance diplomatique de l’Etat hébreu, c’est d’abord pour former le front le plus solide possible face à l’Iran.
La spectaculaire annonce de la normalisation des relations entre Israël et les Emirats arabes unis (EAU) peut se résumer à un adage aussi populaire que lapidaire : l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Si la fédération du golfe Persique a décidé de sauter le pas de la reconnaissance diplomatique de l’Etat hébreu, après des années de coopération sécuritaire secrète, c’est d’abord pour former le front le plus solide possible face à l’Iran. La puissance croissante de la République islamique au Proche-Orient, parce qu’elle vient contester l’ordre stratégique pro-américain qui prévalait jusque-là dans la région, inquiète au plus haut point les EAU et Israël, deux partenaires-clés des Etats-Unis.
Dans l’esprit de Mohammed Ben Zayed, 59 ans, l’homme fort des Emirats, surnommé « MBZ », l’arsenal balistique dont s’est doté Téhéran, ses menées dans le domaine nucléaire et son influence croissante en Syrie, au Yémen, en Irak et au Liban, imposent de serrer les rangs avec Israël, la première armée du Proche-Orient. En contrepartie, les EAU se targuent d’avoir obtenu le gel de la clause du plan de paix de Donald Trump prévoyant l’annexion de pans entiers de la Cisjordanie : « Une initiative courageuse (…) pour préserver les chances d’une solution à deux Etats », a écrit sur Twitter Anwar Gargash, le ministre d’Etat des affaires étrangères émirati.
Mais dans les faits, cette décision rend toute résolution du conflit israélo-palestinien encore un peu plus improbable qu’elle ne l’est déjà, dans la mesure où elle enterre le plan Abdallah. Pierre angulaire de la diplomatie arabe, ce texte conditionnait toute reconnaissance d’Israël à la création d’un Etat palestinien sur les territoires de 1967 (Cisjordanie et bande de Gaza) avec Jérusalem-Est pour capitale. En renonçant à cette demande, qui faisait jusque-là consensus, les EAU privent l’Organisation de libération de la Palestine d’une précieuse monnaie d’échange.
Dans une longue enquête parue en 2018, le magazine américain The New Yorker a dressé la généalogie de cette realpolitik, froide et cynique. Les premiers contacts entre les deux pays remontent à une réunion organisée à Washington, en 1994, entre un diplomate israélien et un universitaire émirati, patron d’un think tank dans l’orbite du pouvoir. L’entrevue portait sur le souhait de « MBZ », alors jeune chef de l’armée émiratie, d’acheter des avions américains F-16, le genre d’équipement militaire de pointe dont l’acquisition par un Etat arabe est toujours surveillée de près par Israël. L’entretien s’étant bien déroulé, l’Etat hébreu n’avait pas formulé d’objection à la vente.