Mali : Vers quelle forme de transition après le renversement d’IBK

TRIBUNE. Voilà une question qui mérite d’être posée alors que popularité, légitimité et légalité se télescopent dans un pays secoué au plus profond de ses structures politiques, sociales et économiques.

Dès sa prise de pouvoir, le 18 août 2020, à l’issue du coup d’État qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), les officiers militaires réunis au sein du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP) déclaraient immédiatement vouloir une transition civile la plus brève possible. Cependant, lors de leur rencontre avec la mission de la Cedeao dépêchée au Mali du 22 au 24 août, ils ont finalement suggéré une période transitoire de trois ans qui couvrirait le reste du mandat d’IBK et qui serait dirigée par l’actuel président du CNSP, le colonel Assimi Goita. Une proposition par la suite ramenée à deux ans, face à l’opposition des émissaires de la Cedeao, qui ont proposé une transition d’une durée maximale de douze mois, avec un président et un Premier ministre civils. La recommandation de la Cedeao est claire : « Aucune structure militaire ne devrait être au-dessus du président de la transition. » Ces débats ont suscité l’intérêt de l’opinion publique malienne, désormais partagée entre partisans d’une transition relativement longue dirigée par un militaire, et ceux en faveur d’une transition civile relativement courte. Ces débats ont lieu dans les grins, au sein des familles, dans les cercles intellectuels et via les réseaux sociaux. Sur ces derniers, le hashtag « #MaTransition » est désormais populaire, et les Maliens s’échangent sur la forme de transition à laquelle ils aspirent.

Les militaires, une alternative crédible à une classe politique fortement décriée ?

Dans une situation depuis longtemps difficile pour nombre d’entre eux, tant sur le plan socio-économique que sécuritaire, et face à l’échec supposé ou réel de la classe politique, les militaires sont parfois perçus comme les seuls à pouvoir convenablement diriger un pays qui a visiblement besoin de rigueur dans sa gouvernance. Georges Balandier disait que les coups d’État militaires en Afrique – qu’il appelle également le néo-colonellisme – s’expliquent par « le désir des jeunes de changer la situation ». Le cas malien semblerait obéir à ce constat. Les militaires du CNSP motivent leur proposition d’une transition de trois ans par la nécessité d’avoir le temps de « refonder l’État et les institutions » fortement décriés dans leurs formes actuelles ; un discours qui semble séduire une grande partie des Maliens. Cela est certainement fondé sur le fait que les jeunes militaires du CNSP n’ont pas connu le discrédit qui a globalement frappé la classe politique malienne, ainsi qu’une partie de la hiérarchie militaire (dont beaucoup ont été arrêtés) empêtrée dans les scandales de corruption autour des fournitures d’équipements militaires, et des détournements de primes des soldats.

L’organisation de l’État malien fait que lorsque celui-ci est en perdition, il n’y a aucune autre force sociale ou politique capable d’intervenir et de s’imposer. La contestation qui avait commencé le 5 juin contre IBK s’était totalement enlisée après l’échec des différentes médiations de la Cedeao, et la prise du pouvoir par l’armée fut, en général, très bien accueillie. Bien qu’ayant été de véritables démonstrations de force, les multiples manifestations du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) n’auraient vraisemblablement pas suffi à renverser IBK, sans l’intervention des militaires. D’ailleurs, « le risque d’une irruption des militaires sur la scène politique n’avait pas échappé aux sécurocrates de l’entourage présidentiel », toutefois sans qu’ils ne puissent s’y opposer.

Le choix de certains Maliens en faveur d’une transition de trois ans, dirigée par les militaires, s’explique aussi par le fait que ces derniers ont une structure en général disciplinée, hiérarchisée, et bien organisée. Dans la situation actuelle du Mali avec un État en déliquescence, des institutions largement dysfonctionnelles, et un personnel politique décrédibilisé, les populations ont naturellement tendance à réclamer une transposition de l’organisation et de l’esprit militaire dans la gestion de la société et des affaires politiques ; ce qui est souvent loin d’être réalisable a posteriori.

Un autre aspect qui est pointé du doigt est qu’une transition relativement courte, comme suggéré par la Cedeao, n’accorderait pas le temps nécessaire à l’émergence de nouvelles figures, notamment jeunes, dans l’espace politique. On pourrait ainsi, à l’issue de la période transitoire, assister au retour au pouvoir d’une personnalité de l’actuelle classe politique tant décriée. Une partie de la jeunesse voit pourtant ce coup d’État comme une opportunité d’opérer une véritable rupture politique avec l’actuelle classe politique globalement jugée responsable du fiasco malien.

Par Boubacar Haidara et Fousseyni Touré

Source: lepoint.fr/afrique

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