Débats. Enseignement de l’arabe en France : A quand un débat dépassionné ?

L’intégration de l’arabe à l’enseignement de langues étrangères dans les écoles publiques en France est devenu un sujet de tensions. Ces dernières sont ravivées, dans un contexte marqué par les polémiques autour du projet de loi sur le séparatisme. Présenté comme un moyen d’apprentissage détachant l’arabe de la religion, le projet est décrié par d’anciens ministres et des députés.

Entre des politiques qui refusent l’intégration de l’arabe à l’enseignement public français et d’autres qui considèrent ce projet comme un moyen de détacher l’apprentissage linguistique de l’enseignement religieux islamique, les tensions se ravivent. C’est dire que la polémique dure depuis au moins deux ans, mais elle revient encore en avant, dans le cadre des débats sur le projet de loi contre le séparatisme.

Début octobre, le discours du président Emmanuel Macron, énonçant les grandes lignes du texte, a proposé l’intégration de l’apprentissage de la langue arabe à l’enseignement scolaire public, de manière à ce qu’il ne soit plus rattaché aux associations cultuelles ou encore aux activités des mosquées. Alors que l’idée est présentée comme une manière de garder cet enseignement sous contrôle étatique, elle est décriée par des politiques plus à droite, sous prétexte d’islamisation des écoles de la république.

Un climat de méfiance

Professeur-associé à Sciences-Po Rabat au sein de l’Université internationale de Rabat (UIR), anthropologue et docteur en sciences politiques et sociales à l’Université catholique de Louvain (UCL) en Belgique, Farid El Asri a réagi aux crispations qui marquent le débat. Invité ce mercredi à l’émission Faites entrer l’invité spéciale MRE sur Radio 2M, en partenariat avec Yabiladi, le chercheur a estimé que si cette intégration revêt plusieurs dimensions pédagogiques, elle reste, dans le cadre du projet de loi, un outil de contrôle.

En effet, cette mesure traduit inéluctablement une forme de «méfiance structurelle vis-à-vis d’une partie de citoyens français de confession musulmane». «On suppose que des choses se disent dans les écoles coraniques, dont on n’a pas connaissance et qui appellent ainsi à une prise en charge par la collectivité d’une minorité qui aurait une charge d’intention», a estimé le spécialiste.

Dans un climat de lutte antiterroriste islamiste, «la problématique s’accentue lorsqu’il est question d’ancrage, ce qui ravive les crispations quand l’autre commence à partager des valeurs au sein d’une collectivité en crise identitaire et en manque de confiance», a encore déclaré Farid El Asri. Sauf qu’à y voir de plus près, il rappelle que «ce débat est beaucoup plus large et profond, en termes de provenance historique complexe».

Il a rappelé, dans ce sens, le changement de paradigme dans le rapport à la langue arabe, lié sociologiquement à la présence de l’islam. «La France est connue par sa tradition de l’intérêt porté à la langue arabe depuis le XVIe siècle, mais qui a changé avec la colonisation, avec un passage de l’arabophilie à la réalité d’une présence musulmane», à laquelle la question de la migration s’est greffée plus tard. «Le contexte est sensible dans le cadre de débats identitaires», selon Farid El Asri, qui évoque «une forme de crise culturelle irrationnelle sur ce qui doit être commun».

«Il y a une supposition que quand l’autre parle une langue que je ne comprends pas, cela peut être un marquage de rupture, car nous n’avons pas la même charge historique et la dimension sociologique par rapport à cette langue (…) Il y a donc une instrumentalisation politique, car il y a un enjeux collectif actuel donnant lieu à des raccourcis.»Farid El Asri

L’un de ces raccourcis a récemment émané d’un ancien ministre français (UMP) de l’Education nationale. Egalement philosophe, Luc Ferry s’est prononcé foncièrement contre cette intégration à l’apprentissage. Sur le plateau de la chaîne d’information CNews, il a lâché que cette initiative serait «ridicule» (sic), voire le «meilleur moyen d’islamiser la France» ou encore de «booster la prolifération d’écoles coraniques ou d’écoles confessionnelles».

Pour Farid El Asri, ce débat médiatique s’éloigne des réelles problématiques que revêt la question, à savoir «une maîtrise sur l’indigénisation de l’usage de la langue par un biais sécuritaire».

Dépasser les clivages idéologiques pour redonner à la langue arabe sa place

Il y a deux ans et avant le clivage accentué par le projet de loi sur le séparatisme, le ministre français de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a estimé nécessaire de permettre à ceux qui le souhaitent d’apprendre l’arabe au sein des écoles, comme cela se fait pour les autres langues étrangères (le russe, l’allemand, le chinois…). Le ministre a estimé également que l’idée serait un moyen de rendre accessible cet enseignement, sans devoir rattacher la langue au religieux, impliquant que l’un des rares moyens de développer des connaissances en arabe serait de se rendre à une mosquée ou à une association cultuelle.

Avant lui, Najat Vallaud-Belkacem a envisagé la fin des ELCO, remplacés par les Enseignements internationaux de langues étrangères qui incluent l’arabe. Dans son discours relatif à la loi sur le séparatisme, le président Emmanuel Macron a récupéré l’idée d’un point de vue plus sécuritaire, avec l’optique de combattre l’apprentissage de l’arabe dans les circuits associatifs et religieux.

Mais si le projet est mis en œuvre, la problématique pourrait rapidement se poser en matière d’effectif, à court terme, si cela va de paire avec l’impératif que les enseignants soient formés en France, souligne pour sa part Farid El Asri. D’un point de vue plus pédagogique et plus ouvert sur l’international, il défend ainsi une sortie de ces clivages en redonnant à l’arabe toute sa valeur linguistique, littéraire et culturelle, au même titre que les langues internationales adoptée par l’ONU et dont elle fait partie.

Farid El Asri plaide, dans ce sens, pour une structuration d’un enseignement sanctionné par un examen de niveau, au même titre que cela se fait pour l’anglais. Il s’agit d’«encourager les élèves à améliorer leur niveau et à se projeter dans une dynamique plus internationale, en donnant plus d’envergure» à un apprentissage qui dépasse les aspects usuels et communicationnels basiques de la langue.

«Mon constat part d’une réalité de terrain, pour dépassionner le débat sur l’enjeu sécuritaire et identitaire, qui pointe une fusion entre la langue arabe, les origines religieuses ou de pays étrangers.»Farid El Asri

Il s’agit, pour le chercheur, de «réfléchir d’un point de vue didactique et pédagogique afin d’objectiver les attentes». «La langue arabe est une langue très riche, qui mérite plus de considérations que ce qu’elle a aujourd’hui», a-t-il souligné.

World Opinions News – yabiladi.com

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