Au Soudan, des producteurs de cacahuètes rejoignent la lutte contre la malnutrition

L’Afrique veut manger à sa faim (1). L’arachide est transformée en pâte hypercalorique destinée aux enfants mal nourris. Une recette qui sauve des vies… et l’économie.

A Dar-es-Salam, dans l’est du Darfour, la cacahuète, c’est une très vieille histoire. Ici, personne ne saurait dire depuis combien de décennies on cultive l’oléagineux. Ce que tout le monde sait, en revanche, c’est que l’arrivée de l’usine de transformation d’arachides en Plumpy Nut – une pâte ultrariche administrée pour lutter contre la sous-nutrition – a décuplé l’intérêt pour le fruit à coque. « Grâce à ce travail, nous avons pu développer nos activités, scolariser les enfants, acheter un âne parfois, ou agrandir nos maisons », résume Ibrahim Rahma, un des paysans du coin.

Une amélioration globale qui ne l’empêche pas de se battre cette année, au nom de l’association de producteurs, pour une revalorisation des prix de leurs produits après une saison calamiteuse. Le Soudan connaît actuellement une inflation galopante qui mange le pouvoir d’achat des ménages, renforce l’insécurité alimentaire et obligeles Soudanais à dépenser une part exorbitante de leurs revenus pour se nourrir.

« Le Soudan est assez agricole pour être autosuffisant, et la production de ces doses de nourriture thérapeutique est un exemple à suivre », selon Rasha Al-Ardhi, nutritionniste à l’Unicef

Comme une bonne partie de la population, Ibrahim Rahma aussi souffre. D’un côté, il est heureux que sa matière première sauve des enfants, mais il a besoin lui aussi de vivre décemment, surtout en cette année de pandémie et de sécheresse. Il croit dans son combat, comme il croit à l’avenir des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE), qu’il contribue à produire. Pour lui et les autres, le Plumpy Nut, c’est une vraie innovation.

Au Soudan, où tous les voyants économiques sont au rouge, l’aventure des ATPE commence en 2012 avec la constitution d’un réseau de 2 000 cultivateurs formés à produire de l’arachide de bonne qualité. L’initiative est alors lancée par une entreprise locale, Samil, liée au groupe français Nutriset, un des spécialistes mondiaux de l’ATPE depuis les années 1990.

Matière première irréprochable

Pour fabriquer cet aliment hypercalorique et vitaminé que les ONG distribuent en cas de sous-nutrition, Samil a besoin d’une matière première irréprochable. L’entreprise l’achète auprès des paysans, qui trouvent ainsi le moyen d’écouler leur récolte, plutôt que de laisser les coques pourrir, comme c’était le cas avant, faute de stockage et de débouchés pérennes. Par ailleurs, tous les acteurs cherchent à faire avancer le pays vers un meilleur développement en aidant cette filière essentielle à se structurer. « Le Soudan est assez agricole pour être autosuffisant, et la production de ces doses de nourriture thérapeutique est un exemple à suivre », explique Rasha Al-Ardhi, nutritionniste à l’Unicef, pour qui « il est nécessaire de se concentrer sur les productions locales ».

Les Nations unies classent le Soudan au cinquième rang du marché mondial de l’arachide avec un produit qui, en 2019, a rapporté au pays 205,7 millions de dollars (175 millions d’euros), selon la Banque centrale soudanaise. Pour poser les premiers jalons d’une filière intérieure cette fois, Samil a d’abord ouvert une première usine, dans le quartier de Bahri, au nord de Khartoum, la capitale. Là, des tonnes de cacahuètes sont débarquées par camions, brassées dans de grandes cuves en acier, puis mélangées à du sucre, de l’huile, de la poudre de lait et des vitamines, avant d’être chauffées et compactées en une pâte hypernutritive. Ensuite, le Plumpy Nut est mis en sachets prêts à consommer sans cuisson, préparation ni adjonction. Une autre usine, plus grande encore que celle de Bahri, a ouvert ses portes au Darfour, où Ibrahim Rahma et ses voisins livrent leur arachide.

« Nous devons produire cette pâte au plus près des zones de culture des cacahuètes et de distribution des ATPE », raconte Imane Abdelkarim, une des responsables de la Samil Industrial Company. Or le Darfour coche les deux cases en présentant à la fois un visage agricole et une population très démunie. « Après des années de guerre au Darfour, l’économie locale était en ruine, assure Mme Abdelkarim, au point que certains fermiers possédant 50 hectares de terre n’étaient pas capables d’en exploiter un cinquième. On les a accompagnés dans leurs démarches pour obtenir des prêts et du matériel, pour passer d’une agriculture de subsistance à une culture vraiment rentable. Parce que l’amélioration de leur situation profite à tout le monde. » De quoi aider les populations les plus fragiles de ces vastes terres ravagées par des années de conflit.

Populations vulnérables

Selon l’Unicef, 2,7 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition dans le pays, dont plus de 500 000 sont sévèrement touchés, notamment dans le sud du Kordofan, au Darfour, mais aussi dans la région orientale où affluent désormais les réfugiés éthiopiens.

Or les populations d’exilés ou de déplacés internes sont les plus vulnérables. « Et lorsqu’on est confronté à des crises successives d’une telle ampleur, c’est une opportunité d’avoir des stocks d’ATPE produits localement, constate la docteure Rasha Al-Ardhi. Aujourd’hui, plus de deux tiers des sachets thérapeutiques que nous distribuons ici sont produits au Soudan », poursuit-elle, fière que le pays tienne entre ses mains une part de la solution.

Les principaux clients de l’entreprise sont de grandes organisations internationales comme le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Unicef ou Médecins sans frontières (MSF). Fut un temps où les sachets étaient exportés vers l’Ouganda, le Yémen ou le Tchad, mais aujourd’hui l’entreprise se concentre sur les besoins nationaux. « 50 % de nos stocks vont au Darfour, mais on approvisionne aussi largement les camps de réfugiés, les banlieues de Khartoum. On continue de grandir, on produit désormais 14 000 m3 d’ATPE par an », précise Imane Abdelkarim. Une montée en puissance qui a permis à l’entreprise la prise en charge de 2 millions d’enfants en 2020, contre 100 000 six ans plus tôt.

Au fond d’un dispensaire du camp de réfugiés de Hashaba, un jeune Soudanais désigne un gros carton à bande rouge, le regard fier. « C’est un produit de chez nous », lâche-t-il dans un demi-sourire. Une équipe du PAM a livré un stock de Plumpy Nut. Les petits sachets individuels seront distribués aux enfants de moins de 6 ansen malnutrition sévère.

Par Eliott Brachet(Khartoum, correspondance) / Le Monde

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